À quand le pôle Nord à la voile?

Des images satellites révèlent que la calotte glaciaire s’est fracturée jusqu’au pôle Nord. Mark Drinkwater, responsable de l’analyse de ces images à l’Agence spatiale européenne, avance qu’un bateau aurait pu y remonter sans difficulté. À quand les premières tentatives en voilier?

La glace qui recouvre le pôle Nord disparaît à une vitesse encore jamais observée. Des images satellites obtenues en août dernier par l’Agence spatiale européenne montrent d’immenses fractures qui s’étendent jusqu’au pôle Nord. Une situation bien différente de celles des précédentes saisons de fonte record des glaces. Membre de l’équipe Océans/Glaces de l’ASE et responsable de l’analyse de ces images, Mark Drinkwater explique.

Les scénarios les plus pessimistes élaborés par les scientifiques depuis quelques années prédisent une fonte estivale complète des glaces du pôle Nord d’ici 2015. Qu’y a-t-il de si nouveau dans les images satellites que vous avez analysées?
Avec les images en haute résolution que nous obtenons aujourd’hui des satellites, nous pouvons observer les changements en Arctique d’une manière beaucoup plus précise. Et les changements observés ces dernières années sont dramatiques. L’année 2005 a d’ailleurs été une année record pour l’épaisseur minimale de la glace. Ce que nous avons pu observer cette année ne ressemble à rien de ce que nous avions pu analyser à ce jour.

L’année 2006 fut-elle à ce point dramatique?
De nouvelles anomalies sont survenues durant la dernière période estivale, dont un nombre impressionnant de fortes tempêtes, ce qui n’est pas du tout typique de la fin de l’été dans cette région. Ces vents violents ont poussé et déplacé les glaces partout autour du pôle, en Alaska, au nord de l’Europe et aussi au Canada. La quantité de glace n’est pas en cause, c’est plutôt sa condition qui est différente. On ne peut pas dire que la glace a fondu cette année, mais il y a eu beaucoup plus de portions libres de glace cette saison.

Photos : Mêmes photos, prises à un an d’écart; en haut, le 24 août 2005, en bas, le 23 août 2006. À gauche, l’image satellite montre la glace de l’Arctique ; à droite, on voit la concentration de cette glace. En 2005, le gris et le rose montrent l’uniformité de la concentration de la glace. En 2006, on observe un nombre important de fractures, de zones ouvertes à l’eau et de faible concentration de glace juste sous le cercle polaire (en gris foncé ainsi qu’en jaune, orange et vert). La zone noire au centre représente le pôle Nord.

Donc, on y trouve plus d’endroits qu’il est possible d’atteindre en bateau?
Il y a effectivement plus d’endroits praticables, et il y en a aussi d’autres que nous croyons facilement accessibles sans l’aide d’un brise-glace. Comme la glace est maintenant moins épaisse et plus dispersée, il est facile de la briser et de se frayer un chemin. Nous observons que la glace prend rapidement l’hiver, mais elle diminue tout aussi rapidement en été. Et cette glace est plus mobile que jamais. Ces changements occasionneront des effets que nous avons encore beaucoup de difficulté à prédire.

Des effets plutôt négatifs… ?
Au Canada, vous percevez cela négativement à cause de la culture inuit qui s’effrite, des ours polaires qui perdent leurs habitats naturels et des facteurs économiques qui vont se modifier. Mais ce qui est le plus dérangeant, c’est que les choses iront en s’aggravant. La fonte de la glace accélère le réchauffement de la planète à cause de l’effet d’albédo. (N.D.L.R. : L’effet d’albédo désigne le rapport de l’énergie solaire qui est réfléchie par la glace. Une diminution de la quantité de glace occasionne une diminution de la réflexion. Résultat : une absorption de chaleur décuplée, et par conséquent un réchauffement plus rapide.) Et plus il y a de régions sans glace, plus les tempêtes seront fortes et fréquentes. Les énormes vagues qui étaient auparavant stoppées par la glace causeront dorénavant plus d’érosion et viendront modifier toute l’économie de ces régions.

Les aventures estivales à pied ou à ski vers le pôle Nord sont sur le point de disparaître.  Peut-être verrons-nous cependant certains aventuriers tenter de traverser l’Arctique avec des kiteboard ou des planches à voile!

Vous avez prédit que l’on assisterait à des tentatives estivales de tour du monde en voilier directement par l’océan Arctique d’ici à quelques années, est-ce que cette augmentation des tempêtes rendra encore plus dangereuses les expéditions dans cette région?
Toutes les expéditions pédestres qui se sont aventurées vers le pôle Nord l’an dernier ont échoué. Même celles qui partaient d’endroits rapprochés du pôle, comme le Groenland. Et même ceux qui étaient les mieux équipés n’y sont pas parvenus. Cette glace plus mobile et plus mince n’aide certainement pas les aventuriers. Et il est certain que cela devient de plus en plus difficile de tenter l’opération avec les tempêtes violentes que nous observons.

Les expéditions nordiques sont donc menacées?
Les aventures estivales à pied ou à ski vers le pôle Nord sont sur le point de disparaître. Il n'y en aura bientôt plus. Peut-être verrons-nous cependant certains aventuriers tenter de traverser l’Arctique avec des kiteboard ou des planches à voile! Compte tenu de ce que nous avons observé, nous croyons qu’il était possible cette année de partir en bateau de Spitzbergen (N.D.L.R. : Île norvégienne située à 81° de latitude N.) ou encore du nord de la Sibérie et d’atteindre le pôle Nord sans difficulté.

Il reste donc encore beaucoup d’aventures inédites à accomplir...
La traversée du globe en bateau sur une route Nord-Sud n’a pas encore été effectuée. Bien que la traversée du pôle Sud Ne soit pas encore possible, certains commenceront sûrement à s’intéresser à l’idée. Il y a trois ans, le premier yacht traversait le passage du Nord-Est européen. On peut s'attendre à ce que les glaces laissent de plus en plus fréquemment un passage, et que les aventuriers profiteront de ces brèches pour s'y lancer à pleine vitesse. Chose certaine, passer de l'Europe à l'Asie sera bientôt une chose aisée. Et la portion canadienne de l’Arctique subira le même sort. L’année 2007-2008 sera l’année internationale polaire, et nous espérons en profiter pour unir les nations autour de cet enjeu majeur, car ces nouveaux changements affecteront de nombreux pays. Les pays nordiques subiront divers bouleversements économiques : l’ouverture d’un nouvel océan n’est pas un événement fréquent!