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Une génération en manque de nature - Promenons-nous dans les dans les bois!

Dans son livre The Last Child in the Woods, le journaliste et éditorialiste Richard Louv fait un troublant constat : les enfants sont moins souvent en contact avec la nature, créant un phénomène que l’auteur appelle le « nature-deficit disorder », ou NDD (NDLR : que nous pourrions traduire par un « trouble déficitaire relié à une carence en nature »). Études scientifiques et entrevues de parents et d’environnementalistes à l’appui, il démontre les vertus du simple fait d’être dehors. Son livre est un vibrant plaidoyer pour un contact régulier et durable avec la nature.

Comment avez-vous découvert ce que vous avez nommé le « nature-deficit disorder »?

À la fin des années 80, je faisais des recherches pour comprendre ce que pouvait signifier être un enfant aux États-Unis. C’est ainsi que j’ai observé de profonds changements : non seulement les gens passent moins de temps en famille, mais la peur de l’autre, de l’étranger (« stranger danger »), pousse les parents à garder les enfants à l’intérieur de la maison plutôt qu’à les envoyer à l’extérieur pour jouer. Bref, cette étude démontrait que les enfants passaient beaucoup de temps enfermés entre quatre murs, réduisant d’autant leur contact avec la nature.

Une des remarques qui revenait souvent était que les gens constataient une différence dans la façon dont leurs enfants percevaient la nature. Ces observations étaient souvent formulées par des parents qui se souvenaient avoir passé presque toute leur enfance dans le bois. Mais puisqu’ils étaient incapables de nommer exactement ce constat, j’ai décidé volontairement d’ignorer ces remarques.

Ce n’est que plus tard que j’ai compris ce dont il s’agissait : les parents avaient grandi dans la nature, tandis que leurs enfants grandissaient dans la maison. Au cours des trente dernières années, la superficie du territoire où les enfants peuvent circuler sans la supervision immédiate de leurs parents a diminué de 90 %. Et puisque seulement 30 % de la population urbaine des États-Unis vivent à une distance raisonnable d’un parc, il est facile d’imaginer que les enfants sont de moins en moins souvent en présence d’un espace vert naturel. En l’espace de 30 ans, la relation entre la nature et les enfants s’est donc profondément modifiée, et ce mouvement va en s’accélérant. C’est ce que j’ai appelé le syndrome du « nature-deficit disorder ».

Faut-il alors condamner l’ordinateur et les jeux électroniques? 

Non, pas du tout. Je ne suis pas une personne qui va dire que la technologie est mauvaise. La preuve : j’aime mon ordinateur et mes enfants jouent à des jeux électroniques. Je dis simplement que nous devons établir une harmonie. Le contact avec la nature permet de maintenir un équilibre sur les plans physiologique et psychologique des enfants. Des études prouvent que les jeunes qui passent du temps à jouer à l’extérieur démontrent une plus grande créativité et développent une attitude coopérative dans leur façon de s’amuser et d’agir en général. Sans oublier qu’ils ont moins souvent de problèmes reliés à un déficit d’attention en classe. Et les parents sont tout aussi sujets à profiter de la nature s’ils sortent avec leurs enfants, ne serait-ce que pour les surveiller. La nature est très importante pour le développement de l’être humain, quel que soit son âge.

Avez-vous observé si ce phénomène se produit aussi au Canada et au Québec?

Malheureusement, mes recherches se sont concentrées sur ce qui se produit aux États-Unis. Aujourd’hui, je regrette de ne pas avoir observé les tendances ailleurs, au Canada et en Europe, mais puisque j’étais loin de me douter que le livre aurait ce succès, je n’ai pas pris le temps de le faire. Cela dit, en discutant avec des gens, je me suis rendu compte que le NDD se produit aussi bien au Canada qu’ailleurs sur la planète. Je sais aussi que le Canada est en train de faire un meilleur travail que nous pour contrer ce phénomène. Voilà déjà quelques mois, je me suis rendu à l’Université Royal Roads, à Victoria, où j’étais invité à prononcer une conférence. Les gens étaient très concernés par rapport à ces phénomènes.

Est-ce que votre livre rejoint essentiellement les groupes qui militent pour la protection de l’environnement?

Le livre a été fait en espérant que les groupes environnementalistes prennent le relais. Mais il est venu rejoindre beaucoup plus de gens que je ne l’avais imaginé. Il a provoqué des réponses positives de la part de groupes de citoyens qui ont organisé des campagnes régionales de sensibilisation. De mon côté, j’ai dû répondre à plus de 2000 invitations pour prononcer des conférences. Le fait que le livre remporte un certain succès est, en soi, rassurant. Ainsi, les gens vont probablement être capables de reconnaître ce « nature-deficit disorder » chez leurs enfants et agir en conséquence. Et c’est là où je suis content du succès du livre, car il aura permis de tirer la sonnette d’alarme.

Existe-t-il des solutions afin de contrer le NDD?

Certains concepts qui émergent, comme je l’aborde dans mon livre, sont porteurs de solutions. Ce courant provient surtout des pays scandinaves qui incorporent la nature à même le développement de l’urbanisme. Ces solutions vont des toits verts au recyclage de l’eau de pluie. Personnellement, je suis très intéressé par l’idée qui consiste à repenser la ville telle qu’elle existe présentement de façon à incorporer la nature dans le tissu urbain parce qu’il s’agit d’une solution facilement réalisable à court terme.

Vous incitez aussi les gens à sortir malgré leurs peurs…

Oui, il existe des risques dehors, comme celui de se faire mordre par un serpent. Mais il y aussi des risques à ne pas vouloir sortir dans la nature. Il faut se forcer à sortir, ne serait-ce que pour rencontrer les voisins ainsi que la communauté dans laquelle nous vivons. En ce moment, le principal risque qui nous guette, c’est d’observer une diminution de l’espérance de vie d’une génération complète à cause de sa propension à passer trop de temps inactif. Certains pédiatres avancent même que la prochaine génération aura une espérance de vie inférieure à celle des adultes qui ont vécu avant la Seconde Guerre mondiale.

Qu’est-ce qui fait en sorte que vous demeurez optimiste?

En premier lieu, c’est l’accueil qui a été fait à ce livre. C’est déjà un très bon signe. Cela confirme ce que beaucoup de gens pensaient sans être capables de l’exprimer clairement. Maintenant, ils peuvent en parler d’une manière beaucoup plus définie. Ensuite, c’est qu’au cours des deux dernières années, de plus en plus d’organisations mettent sur pied des campagnes de sensibilisation à propos du phénomène du NDD. J’ai l’impression que nous avançons dans la bonne direction.

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