Attention : courts-circuits !
Les États-Unis sont les plus grands producteurs d'énergie éolienne au monde. À l’heure de la consommation responsable et des économies d’énergie, les projets de production d’électricité « propre » (parcs éoliens, barrages hydrauliques) se multiplient dans la province. Mais un certain nombre de Québécois contestent l’implantation de ces infrastructures. Qui fera sauter les plombs en premier ?
La consommation d’électricité québécoise (environ 26 327 kWh par an et par habitant) se place en deuxième position des factures d’électricité les plus élevées au monde, tout juste derrière l’Islande (33 849 kWh). Elle dépasse de peu celle de la Norvège (24 295 kWh), mais représente presque le double de la consommation américaine (13 515 kWh) et plus du triple de celle de la France (7 585 kWh). « Le Québec est exactement au bon endroit au bon moment pour se positionner comme leader […] de l'énergie propre », déclarait le premier ministre du Québec, Jean Charest, en avril dernier. Tout juste sorti d’une crise économique qui a freiné l’élan écologiste, Québec sent-il le vent tourner en faveur d’un virage radical vers les énergies propres ?
Réal Reid, un ancien ingénieur d’Hydro-Québec, devenu spécialiste de l’énergie éolienne pour la Fondation Rivières, avance sur la place publique que l’éolien servirait mieux les intérêts des Québécois que l’hydraulique. Selon lui, la société d’État pourrait obtenir la même puissance (1500 MW) et la même énergie (8 TWh) que ce qu'elle entend retirer du controversé complexe hydroélectrique sur la rivière Romaine. Moins chère et plus verte : la production d'énergie hydraulique émet environ 65% plus de gaz à effet de serre (GES) que la production d'énergie éolienne.
« Grâce au potentiel de son territoire, le Québec a la chance de pouvoir concilier la production de deux énergies renouvelables : l’hydroélectricité et l’éolien », dit Jean-François Nolet, chargé de l’élaboration des politiques pour le Québec et le Canada Atlantique auprès de l’Association canadienne de l’énergie éolienne. À l’heure actuelle, le Québec compte plus de 510 éoliennes, pour une puissance totale de 660 MW. La région de la Gaspésie dispose de 10 parcs éoliens et demeure pour le moment la seule à en accueillir. D’ici 2013, la politiqueénergétique du Québec prévoit le développement de projets éoliens totalisant 4 000 MW. Pour cela, 30 millions de dollars d’aide ont été prévus par le ministère des Finances. Ces nouveaux projets visent la région de Chaudière-Appalaches (306 MW envisagés), le Massif du Sud (150 MW), Charlevoix ou encore le Saguenay (350 MW projetés à Rivière-des-Moulins). Mais l’idée ne plait pas à tous, en particulier aux habitants qui résident près des éoliennes.
Ceux-ci se regroupent aujourd’hui en associations « anti-éoliens » et refusent de subir silencieusement les conséquences négatives de ces projets. « En fonction des vents, la nuisance sonore peut égaler celle d’un aéroport ! », dit Claire Lamarre, du groupement de citoyens Eole Prudence. Résidante de Saint-Ulric, elle voit de sa fenêtre 21 éoliennes situées à moins de deux kilomètres de son habitation depuis plus de dix ans. Elle ne s’y est jamais habituée : « Nous ne sommes pas contre l’énergie éolienne, nous voulons seulement qu’elle ne soit pas produite n’importe où ni n’importe comment ! Nos voisins de Saint-Léandre ont 46 éoliennes à moins de 600 mètres de chez eux, en plein devant le coucher du soleil! Si ça continue, le Québec va ressembler à une pelote d’épingles avec toutes ces éoliennes », s’indigne-t-elle.
Malgré les oppositions, il est clair que le Québec poursuivra son développement électrique. Notre climat froid, la demande grandissante en énergie, le potentiel de profits énormes de son exportation et les projets de véhicules électriques feront bientôt exploser la demande d’électricité. À eux seuls, les besoins de chauffage en hiver et de climatisation en été constituent plus de 58% des dépenses énergétiques d’une maison québécoise. Nos habitudes de vie sont aussi à mettre au pilori : nos électroménagers sont surdimensionnés et beaucoup de maisons sont encore très mal isolées. D’autres part, l’électricité demeure bon marché au Québec : à Montréal, le coût pour une habitation était de 7,76 ¢/kWh en avril 2009, alors qu’un New-Yorkais payait la sienne 27,3 ¢/kWh, presque trois fois plus.
On peut remercier nos grands barrages qui, depuis les années 1960, fournissent une hydroélectricité à bas prix. Avec environ 4500 rivières, dont plus de 500 disposent d’un potentiel hydraulique aménageable, le réseau hydrographique du Québec confère un potentiel électrique enviable : « L’énergie hydraulique a toujours été, et sera toujours, une source de fierté pour les Québécois », dit Jean-François Samray de l'Association québécoise des producteurs d’énergie renouvelable (AQPER). Aujourd’hui, le Québec produit plus de 30 000 MW grâce à ses rivières, soit près de 96% de sa production énergétique totale.
En 2008, on comptait 162 centrales hydroélectriques installées sur 115 rivières québécoises (ce qui représente tout de même une augmentation de près de 400% de l’exploitation de la province en une quinzaine d’années). L’annonce de 31 nouveaux projets par Hydro-Québec en mars dernier a causé des remous parmi les militants de défense de l’environnement. À l’heure où la majorité des grandes rivières québécoises sont déjà détournées, les industriels de l’hydroélectricité misent sur de plus petits cours d’eau encore sauvages au potentiel séduisant. Ce sont ces petites centrales hydrauliques qui sont dans la ligne de mire des écologistes : « Les centrales de moins de 50 MW causent des dommages à l’environnement pour des gains énergétiques négligeables »,dit la coalition Eau Secours. Les associations montrent du doigt le fait qu’Hydro-Québec posséderait un surplus d’électricité et que la société d’État n’aurait pas besoin de ces nouveaux approvisionnements dans les prochaines années.
« Aujourd’hui, il n’y a plus une rivière au Québec sans projet de construction de barrage », déplore Pierre Trudel, président de la Fédération québécoise de canot et de kayak et porte-parole de la Fondation Rivières.« C’est une calamité, surtout lorsque le projet vise un site vierge où les dégâts sont irréparables. Regardez la rivière Gatineau : c’est un magnifique lieu de kayak d’eau vive avec une série de beaux rapides. Et bien, deux projets y sont en cours. C’est la même chose pour la rivière Portneuf sur laquelle nous sommes obligés de faire plusieurs portages pourdescendre. Il est désormais impossible de l’emprunter au complet. Il faut arrêter de tout miser sur l’hydroélectricité et envisager de nouvelles sources de production », dit-il.
Lorsque ce ne sont pas les « anti-barrages » qui réclament des éoliennes, ce sont les « anti-éoliens » qui contestent. Un grand projet fait ainsi des vagues dans la région de Chaudières Appalaches. Le Massif du Sud, un joyau naturel qui abrite une faune et une flore fragiles, est au beau milieu du terrain convoité par les industriels du vent, mais ses habitants refusent catégoriquement de voir pousser 75 éoliennes sur leurs terres : « On dit que l'éolien, c'est du développement durable parce qu’on utilise le vent. Mais si on est obligé de construire 40 kilomètres de chemins forestiers dans ces territoires naturels précieux pour les installer, on annule le côté écologique ! », déclarait récemment Colin Perreault, candidat de Québec Solidaire dans Bellechasse.
Plusieurs associations locales qui œuvrent pour la sauvegarde du Massif tentent aussi de forcer les compagnies à aller construire leurs éoliennes ailleurs. Le mouvement RésEAU des montagnes a demandé à la ministre du Développement durable de stopper le projet et de transformer le site naturel en réserve de la biodiversité : « Depuis plus de 30 ans, les gens se battent pour y développer un parc récréotouristique et, aujourd’hui, des entrepreneurs viennent imposer leur projet en vantant les vertus de l’éolien? Cette industrie devient un véritable outil de propagande du développement durable! », accuse Mireille Bonin, ancienne présidente du RésEAU qui se considère aujourd’hui comme une résistante citoyenne.
De leur côté, les « pro-éoliens » dénoncent l’appétit des médias pour les sujets qui font des vagues : « Une large majorité des Québécois adhère à l’éolienne », assure Jean-François Samray. « Mais comme pour toute idée, il y a des contestataires. Les médias mettent évidemment en lumière les mécontents et parlent davantage des projets abandonnés que de ceux qui aboutissent dans l’adhésion unanime. »
Pour satisfaire tout le monde, les producteurs d’énergie éolienne cherchent alors des solutions. Jean-François Samray est persuadé que la clé d’une intégration heureuse des parcs éoliens réside dans un travail d’harmonisation et de valorisation : « L’Anse-à-Valleau, dans la région de Côte-de-Gaspé, est un très bon exemple : une boucle pédestre de 6,3 km emprunte une section du Sentier international des Appalaches et passe à travers le parc éolien. À Murdochville, les chemins d’accès aux éoliennes sont utilisés comme sentiers de vélo de montagne. Les routes devaient nécessairement être créées, aussi bien qu’elles servent pour l’offre récréotouristique ».
Francine Chouinard, la directrice de l’offre touristique de Murdochville, est du même avis : « L’impact de nos parcs éoliens sur le tourisme de la région est indéniable. Mais il est préférable de voir des mâts d’éoliennes plutôt que des cheminées d’usines ». Pour valoriser au maximum ces infrastructures, la communauté locale a mis en place une visite guidée des installations. Un autobus conduit les touristes jusqu’au pied des éoliennes : « Ils comprennent leur fonctionnement et leur utilité. Ça donne aussi un panorama extraordinaire sur nos montagnes », continue Francine Chouinard.
Grâce aux protestations, les choses évoluent de manière positive : les ingénieurs cherchent de nouvelles technologies pour produire autrement de l’énergie verte, comme des hydroliennes qui pourraient utiliser le potentiel de l’eau en causant moins de dommages sur l’environnement. À l’étude depuis plusieurs années et déjà testées en France, ces éoliennes sous-marines réussiront-elles à faire l’unanimité parmi les Québécois ?
Consommation d'électricité annuelle
Islande : 33 849 kWh
Québec : 26 327 kWh
Norvège : 24 295 kWh
États-Unis : 13 515 kWh
France : 7585 kWh
Puissance éolienne du Québec
510 éoliennes
660 MW