Dernière chance pour le parc des Sommets à Bromont
Pour éviter qu’un nouveau développement immobilier voie le jour sur le massif du mont Brome, une mobilisation est en cours pour racheter les terres au promoteur. Objectif : amasser 8,25 millions $ pour créer un parc de conservation. Mais le temps presse : il faut encore trouver trois millions $ d’ici le 31 décembre.
En roulant dans les pistes d’enduro du secteur du pic du Chevreuil, sur le mont Brome, on constate que les descentes sont conçues pour donner des émotions fortes. Des cyclistes dévalent les pentes à toute allure et s’envolent sur un monticule, d’autres enfilent de gros virages à pic.
À certains endroits, des amoncellements de roches ont été disposés à la force des bras pour créer des traverses à flanc de montagne. Ailleurs, des virages en plongée zigzaguent à travers les arbres pour minimiser les impacts sur la forêt. En tout, 32 kilomètres de sentiers ont été aménagés sur les monts Horizon et Bernard par un groupe d’artisans, d’abord surnommés les Pirates, puis rebaptisés les Farfadets furtifs du Mordor.
Qui sont-ils ? Un groupe informel d’amateurs de vélo de montagne qui aménagent des sentiers… sur des terres appartenant à Charles Désourdy, propriétaire de Bromont, montagne d’expériences (BME).
Sans trop intervenir, M. Désourdy a laissé faire ces passionnés la plupart du temps, jusqu’à ce qu’un projet permettant de financer les activités de la montagne voie le jour. « C’est très difficile de rentabiliser un centre de ski. Pour y arriver, ça prend des projets connexes, comme du développement immobilier », soutient le promoteur, citant en exemple Tremblant et Saint-Sauveur.
En 2012, Charles Désourdy a présenté le Val 8, un projet qui devait être le plus payant de l’histoire de la montagne. À l’époque, le plan consistait à construire 40 maisons dans l’un des derniers secteurs naturels du massif du mont Brome. « Je trouve dommage que les promoteurs passent toujours pour des méchants. On voulait vraiment que le projet s’intègre au paysage et on prévoyait préserver 75 % du territoire », dit l’homme d’affaires. D’abord encensé par les membres du conseil municipal et les citoyens présents lors d’une assemblée de ce conseil en octobre 2012, le projet a ensuite pris du plomb dans l’aile.
Après la présentation des premiers plans du projet, des citoyens ont formé Protégeons Bromont, un organisme sans but lucratif, avant de lancer une pétition et de récolter 4 000 signatures contre le projet. Au cours des mois suivants, plusieurs autres organismes (Conservation de la nature Canada, Corridor appalachien, la Société de conservation du mont Brome, le Centre national de cyclisme de Bromont et les Amis des sentiers de Bromont) se sont joints à la campagne.
C’est toutefois lors des élections municipales de novembre 2013 que la donne a changé avec l’élection d’un nouveau conseil municipal, rappelle Caroline Girard, aujourd’hui vice-présidente de Protégeons Bromont.
Commencent alors de longues discussions pour trouver un terrain d’entente avec le promoteur. D’abord ennuyé parce que le nouveau conseil municipal lui met des bâtons dans les roues, Charles Désourdy finit par déposer une poursuite contre la Ville de Bromont. Puis, en 2014, BME décide de fermer l’accès aux sentiers « pirates », jadis tolérés.
Mais il n’y a pas que les sentiers à protéger. « On veut que tout le territoire soit protégé, car ces espaces naturels emblématiques et accessibles ont une très haute valeur écologique », explique Joël Bonin, vice-président régional de Conservation de la nature Canada. C’est d’ailleurs dans ce massif, en 2009, que le gouvernement du Québec a reconnu un secteur de 56 hectares comme écosystème forestier exceptionnel, puisqu’on y trouve plusieurs espèces menacées ou vulnérables, comme l’ail des bois, la salamandre pourpre ou la grive des bois.
« Avec des forêts matures et des sentiers existants, la Ville et les citoyens ont vu un beau potentiel pour créer un parc », souligne Annie Cabana, coordonnatrice des loisirs, sports, parcs et sentiers à Bromont. Avec cette idée en tête, les intervenants trouvent finalement une solution gagnant-gagnant en novembre 2016. BME accepte alors de vendre les 150 hectares de terres, dans le but de créer un vaste parc de conservation, le parc des Sommets.
Le prix à payer par les partenaires de Protégeons Bromont d’ici le 31 décembre 2017 : 8,25 millions $, soit 7,25 millions pour les terres et 1 million pour les taxes et pour la création d’un fonds de gestion à long terme, selon l’évaluation réalisée par une firme indépendante.
© Bromont, montagne d'experiences
D’emblée, la Ville de Bromont s’est engagée à investir 2,75 millions $ dans le projet. « Ça fait partie de l’ADN de la ville; on veut créer un milieu de vie où les citoyens peuvent cohabiter avec la nature », explique Pauline Quinlan, mairesse sortante de Bromont, qui n’a pas brigué les suffrages aux élections municipales de novembre 2017.
Grâce aux dons citoyens, à ceux de grands donateurs et à plusieurs activités de collecte de fonds, on a pu récolter 820 000 $. « Pour atteindre le million, nous voulons faire appel au cœur des gens et solliciter les grandes corporations et les philanthropes », explique Claudette Duclos, présidente du comité de direction de la campagne de financement du parc des Sommets.
« C’est vraiment important d’atteindre cet objectif, qui est un peu un baromètre pour faire pression sur les divers paliers de gouvernement », estime Joël Bonin, responsable des activités québécoises de l’organisme indépendant qui se portera acquéreur du terrain, afin d’assurer la conservation perpétuelle du territoire sans entrave politique. Grâce à des ententes financières, Conservation de la nature Canada – plus grand propriétaire de sites naturels au Québec et au Canada – peut déjà verser 1,5 million dans la cagnotte.
En le liant à deux autres territoires protégés du massif, le parc des Sommets serait d’une superficie similaire à celle du parc du Mont-Royal, souligne Joël Bonin. « Sans ce parc, Montréal ne serait pas la même ville aujourd’hui, dit-il. Imaginez l’importance du parc des Sommets pour Bromont dans 100 ans. Il faut du courage et de la détermination pour protéger les deux derniers sommets naturels du massif du mont Brome, surtout quand la demande pour le développement est si grande », dit-il.
Fondée en 1964, Bromont a vu sa population exploser au cours des dernières années; en dix ans, elle est passée de 3 500 à 9 000 habitants. De ce nombre, plusieurs citoyens, comme Marc-Antoine Brouillette et sa famille, ont choisi de s’y installer pour la qualité de vie et l’accès aux sports de plein air. « On voulait être proche de la nature pour faire du ski et du vélo. Sans compter que les écoles misent aussi sur le plein air, un plus pour les enfants », dit-il.
Selon un sondage réalisé en 2014, 72 % des citoyens fréquentent les sentiers de la ville et 67 % utilisent les pistes cyclables, souligne Annie Cabana, coordonnatrice des loisirs, sports, parcs et sentiers de Bromont, qui investit près de 150 000 $ annuellement pour l’entretien et l’aménagement des 104 km de sentiers existants pour la pratique du vélo, de la marche, de l’équitation et du vélo de montagne.
Bromont, qui détient la certification vélosympathique, se distingue par une diversité impressionnante de pistes cyclables, avec la présence du Centre national de cyclisme (dont une piste de BMX), de la Route verte et de plusieurs sentiers de cross-country et de descente sur la montagne. La disparition d’une partie des sentiers de vélo de montagne enverrait un bien étrange message aux utilisateurs et aux 1,8 million de touristes qui visitent la ville chaque année, estime Annie Cabana.
Au moment d’écrire ces lignes, un peu plus de cinq millions $ avaient été amassés pour l’achat des terrains du futur parc. Pour boucler le budget, ses promoteurs attendent maintenant les réponses à des demandes de financement envoyées notamment à Tourisme Québec (2,8 millions $), à Hydro-Québec (200 000 $) et de l’Association touristique des Cantons-de-l’Est (100 000 $).
Même si l’objectif n’est pas atteint d’ici le 31 décembre, les promoteurs du parc comptent acheter le maximum de terres avec l’argent amassé. Un projet de 27 résidences est donc toujours dans l’air, ce qui pourrait couper l’accès à plusieurs pistes, mais Charles Désourdy demeure ouvert à divers scénarios, qu’il compte proposer après la tenue des élections municipales, le 5 novembre.
Incertain de la tournure des événements, le maître d’oeuvre des bâtisseurs de sentier, Éric Bélanger, se fait philosophe : « Va-t-on un jour réaliser que c’est rentable de faire des sentiers, que l’arbre vaut plus cher que le développement, que la nature a une plus-value monétaire? », s’interroge-t-il. Peu importe ce qui arrivera, cette saga aura permis de souder la communauté du vélo pour les années à venir, conclut Caroline Girard.
D’autres sentiers à préserver à Sainte-Anne-des-Lacs
Autre village, problème similaire. À Sainte-Anne-des-Lacs, dans les Laurentides, un autre groupe d’adeptes de vélo de montagne a créé un réseau de sentiers sur des terres privées. Pour régulariser la situation, une initiative citoyenne a été lancée pour acheter les terres et préserver les sentiers. Le projet Héritage plein air du Nord a pour l’instant amassé près de 350 000 $, dont 150 000 $ provenant de Conservation de la nature Canada et 50 000 $ de la municipalité. Mais il manque encore 50 000 $ pour compléter le financement. Pour faire un don : heritagedunord.org
Pour faire un don : donate.natureconservancy.ca
Lien vers cartes et vidéos sur le secteur : www.protegeonsbromont.org