Sépaq : l'avenir des parcs nationaux en question
Ces dernières années, on a vu apparaître une offre de plus en plus luxueuse, confortable et sécuritaire dans les parcs nationaux du Québec. Mais que reste-t-il aux aventuriers en quête d’autonomie, habitués de sortir des sentiers battus ? Tour d’horizon, ici et ailleurs.
Tarifs trop élevés, sentiers suraménagés, manque de choix pour circuler et camper en autonomie : Elisabeth Koch déserte les sentiers québécois, et plus particulièrement ceux de la Sépaq, depuis quelques années. À l’instar de plusieurs mordus du plein air, cette Autrichienne d’origine préfère s’adonner à la randonnée ou au ski hors piste au sud de la frontière, dans les Adirondacks, les White Mountains et les Green Mountains, où on lui offre plus de liberté à moindre coût.
« La Sépaq vise une clientèle plus aisée, avec des produits comme les tentes Huttopia ou l’Auberge de montagne des Chics-Chocs », constate la jeune femme qui vit dans la région de Québec.
Elle cite en exemple le sentier naturel menant à l’Acropole des Draveurs, dans le parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie, transformé en un large sentier en criblure de pierre. Une décision prise pour accueillir plus de visiteurs qui désirent marcher côte à côte ou les familles avec poussettes, explique-t-on à la Sépaq.
« On surprotège, on met des barrières pour ne pas tomber et on dénature ainsi le paysage, renchérit Elisabeth Koch. On semble oublier que l’accessibilité pour tous rend l’environnement moins intéressant pour ceux qui veulent explorer les parcs en autonomie. »
Julie Vachon-Joanette, une autre passionnée qui consomme du plein air presque toutes les fins de semaine, trouve elle aussi difficilement son compte dans les parcs québécois. « Je ne crois plus faire partie de la clientèle ciblée par la Sépaq, car il est très difficile de circuler en autonomie. En plus, il faut payer le gros prix pour tous les services », dit la jeune femme, qui habite près du parc national d’Oka. Elle doit ainsi débourser près de 30 $ pour y faire du ski de fond, étant donné qu’il faut payer le stationnement (7,83 $), l’accès au parc (8,50 $) et l’accès aux sentiers (14,57 $). Une somme démesurée pour 35 km de sentiers, estime cette dernière.
Il faut dire que le tarif d’entrée a plus que doublé, et ce, en quelques années seulement, passant de 3,50 $ à 8,50 $. Plusieurs se demandent si cette augmentation sert à financer les hébergements de luxe, l’aménagement excessif de sentiers ou encore les coûteux centres d’interprétation.
Tarifs élevés : un mal nécessaire ?
L’augmentation du tarif d’entrée est-elle la meilleure stratégie pour faciliter l’accès au territoire ? « Peut-être pas, mais elle a été développée pour qu’on puisse se payer un réseau intéressant, répond John MacKay, p.-d. g. de la Sépaq. Ça nous permet de promouvoir de manière active la conservation et les activités de découverte de la nature. »
Pendant que les prix augmentaient, la fréquentation s’est mise à chuter — si bien que de 2010-2011 à 2014-2015, le nombre de jours de visite est passé de 6,4 à 5,8 millions dans le réseau de la Sépaq, soit une baisse de 9,4 %. Pour renouveler la clientèle qui se fait vieillissante, la Sépaq a ajusté le tir en 2015 en lançant sa stratégie famille. Celle-ci permet aux jeunes de moins de 18 ans d’avoir accès gratuitement aux sentiers et à plusieurs activités. Résultat : de 2014-2015 à 2015-2016, l’achalandage a crû de 8 % dans le réseau et de 18 % dans les parcs, alors que plusieurs prédisaient l’hécatombe.
« Les gens réalisent qu’on offre une valeur ajoutée et qu’ils en ont pour leur argent, ajoute John MacKay. Nous avons un très beau réseau qui se compare avantageusement au réseau canadien. » Mais pour gérer ces 27 parcs nationaux (dont un parc marin) et 15 réserves fauniques, la Sépaq doit s’autofinancer : dans son budget annuel de 114 millions de dollars, à peine 18,6 millions proviennent du gouvernement. Il faut donc aller chercher des revenus auprès des utilisateurs — du moins, jusqu’à ce que le gouvernement en décide autrement. « Le but de la Sépaq n’est pas de faire de l’argent : il y a plein de produits qui ne sont pas rentables, mais on doit compenser ailleurs », explique le p.-d. g.
Faute de rentabilité, certains services peuvent disparaître. En 2005, la destruction d’un refuge en bordure du parc national de la Gaspésie, au sommet du mont Logan, avait soulevé la colère des adeptes de ski hors piste. Ce refuge, offert en location par la Sépaq, était en fait propriété de la Ligue navale du Canada (succursale Cap-Chat) et se trouvait sur un terrain appartenant à Radio-Canada, dans une enclave du parc. En raison du piètre état de l’endroit au début des années 2000, personne n’avait voulu assumer les coûts de rénovation, et il a été détruit…
À l’époque, la grogne avait été exacerbée par la décision de la Sépaq d’investir dans l’Auberge de montagne des Chic-Chocs, un établissement rustico-chic où il en coûte près de 300 $ par nuit par personne, l’hiver (et 245 $ l’été). Combien de refuges auraient pu être construits avec cet argent ? Ce virage luxueux est-il rentable ? « Pas encore, répond John MacKay. À l’auberge, la fréquentation augmente, mais les coûts d’exploitation sont énormes. Nous n’avons pas encore atteint un niveau de rentabilité », admet l’homme, qui souhaite remédier à la situation.
Pour ce gestionnaire en poste depuis environ un an, la stratégie d’investissement dans les infrastructures « de luxe » tire à sa fin. Il note tout de même que les gens aiment le confort et les voyages en VR. Pour suivre la tendance, 132 sites de camping rustiques ont été convertis en sites comprenant deux services, dans les parcs nationaux, en 2014 et en 2015.
Après la tendance « de luxe », on note maintenant une tendance forte vers la randonnée à la dure, qu’on sent venir des États-Unis, note John MacKay. C’est pourquoi la Sépaq investira 14,6 millions de dollars dans sa stratégie nature et aventure, et 14,8 millions pour la stratégie hivernale, au cours des quatre prochaines années.
Pendant ce temps, dans les autres provinces…
Pour prolonger la saison de camping et attirer de nouveaux visiteurs, Parcs Ontario a également pris le virage du plein air « de luxe » en offrant davantage de tentes clés en main et de chalets aménagés. Les prix sont aussi plus élevés qu’au Québec, car il faut débourser entre 11,25 $ et 20 $ (incluant le stationnement) pour accéder aux parcs provinciaux, et au minimum 36,50 $ pour un terrain de camping.
En Nouvelle-Écosse, il n’y a aucun tarif d’entrée dans les parcs, et la location d’un terrain de camping sauvage coûte seulement 20 $. Au Nouveau-Brunswick, le tarif d’entrée varie de 0 à 13 $, et on trouve une très belle offre de refuges modestes. Aucune de ces deux provinces n’a mis au point une offre de glamping (camping de luxe).
Les chiens en laisse sont aussi les bienvenus dans tous les parcs provinciaux, sauf au Québec, où la Sépaq vient tout juste de mettre sur pied, l’été dernier, un projet-pilote dans trois parcs nationaux.
Regard vers l’avenir
Lui-même adepte de séjours en autonomie à ses heures, le p.-d. g. de la Sépaq garde d’excellents souvenirs des périples qu’il a faits sur les rivières du Québec. Il souhaite maintenant améliorer le réseau de canot-camping.
Avec plus de 80 % de la population qui vit dans les villes, John MacKay désire aussi s’impliquer auprès des jeunes défavorisés, qui n’ont jamais eu l’occasion d’aller jouer dans la nature. Pour leur ouvrir de nouveaux horizons, il a instauré un partenariat entre la Sépaq et l’Office municipal d’habitation de Québec.
Fin juillet, on a ainsi fait découvrir le parc national de la Jacques-Cartierà 50 jeunes démunis. Au programme : descente en mini-rafting ou en rabaska, randonnée pédestre et pique-nique. « Toutes des activités qui graveront des souvenirs indélébiles chez les jeunes urbains, habitués à passer la majeure partie de leur temps à l’intérieur », lance l’homme, qui souhaite que ce projet-pilote fasse des petits partout au Québec. « On veut que les Québécois connectent avec la nature pour bâtir une meilleure société », ajoute-t-il.
Dans leur cas, l’encadrement était nécessaire pour apprécier pleinement leur journée hors de leur zone de confort. Au final, l’aventure semble avant tout être un état d’esprit, accessible à ceux qui ont l’audace de partir. Reste à trouver la destination qui convient.
Plus d’autonomie qu’on le pense dans les parcs
Contrairement à ce qu’on est porté à croire, il est possible de vivre bien des aventures autonomes dans les parcs de la Sépaq et ailleurs.
Même si certains parc nationaux semblent fermés l’hiver (Hautes-Gorges, Plaisance, Lac-Témiscouata, Pointe-Taillon, Opémican…) parce qu’ils n’offrent alors pas de services, ils demeurent ouverts à l’année, et leurs sentiers sont accessibles… pourvu qu’on paie la tarification d’accès exigée.
Du reste, il est peut-être interdit de faire du camping sauvage en dehors des emplacements déterminés dans les réserves fauniques, mais il est possible de s’y adonner simplement en en faisant la demande auprès de la direction, qui émettra un droit d’accès si le lieu choisi est adéquat. Cette pratique, méconnue du public, est surtout utilisée par les scouts ou par l’armée ; or, elle peut faire le bonheur des aventuriers en quête d’autonomie.
Par ailleurs, en dehors du réseau de la Sépaq, toute une gamme d’entreprises offrent des séjours avec différents degrés d’autonomie au Québec. Les parcs régionaux, qui prennent de l’ampleur dans le paysage québécois, font partie du lot. Par exemple, on peut faire de la randonnée ou camper gratuitement — à certains endroits, du moins — dans le parc régional des Appalaches (Chaudière-Appalaches), ou faire une descente de canot-camping gratuite dans le parc régional des Grandes-Rivières (Lac-Saint-Jean). Il y a aussi moyen d’explorer des secteurs de ski hors piste dans le parc régional Val David–Val Morin.
Enfin, près des centres urbains, l’accès au territoire et les activités autonomes sont certes plus restreints. Mais quelques heures de route suffisent pour accéder aux terres de la Couronne… où l’aventure n’a pas de limites.
La peur du risque
Et si la notion du risque avait changé ? C’est ce que croit Yan Goyette, guide d’aventure basé au Saguenay. « Notre société semble être de plus en plus intolérante au risque, peu importe les probabilités. Du coup, les parcs et les pourvoyeurs de services suivent ce mouvement », dit-il.
Les symptômes d’une société allergique au risque se transmettent même dans certaines cours d’école, où il est interdit de grimper sur une butte de neige par crainte d’accident, s’indigne Pierre Gaudreault, directeur général d’Aventure Écotourisme Québec (AEQ). « La peur du risque empêche parfois l’épanouissement d’une société », estime ce dernier.
Pourquoi tout le monde est-il aussi craintif ? Parce que personne n’est à l’abri d’une poursuite. Et avec le nombre de demêlés judiciaires qui s’accumulent, le droit prend plus de place et les entreprises deviennent plus frileuses, soutient Patrice Deslauriers, professeur de droit spécialisé en responsabilité civile à l’Université de Montréal.
En 2003, une poursuite qui a fait école a été intentée contre la Sépaq : un visiteur a reçu une roche sur la tête lors d’une randonnée dans le parc national de l’Île-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé. Résultat ? La société d’État a dû débourser 400 000 $ au plaignant, car le juge a estimé que ce dernier avait été mal renseigné au sujet des risques encourus dans le parc. Depuis cette décision, le sentier est fermé au public.
La responsabilité civile pose aussi problème lorsque vient le temps d’offrir des activités autoguidées, affirme John MacKay. Et c’est pourquoi on ne trouve pas de parcours ferrés (via ferrata) offerts en autonomie au Québec, alors que cette pratique est fréquente en Europe.
En outre, contrairement au reste du Canada — soumis à un autre régime juridique —, les entreprises québécoises n’ont pas le droit de limiter leur responsabilité, même si elles font signer un formulaire d’acceptation des risques, précise Patrice Deslauriers.
Pour offrir des activités plus risquées, Aventure Écotourisme Québec a donc mis sur pied un programme de gestion des risques qui permet aux producteurs d’accéder à des primes d’assurance à un prix raisonnable. Comment ? En assurant un suivi professionnel des programmes de sécurité de tous ses membres, explique Pierre Gaudreault.
Qui sont les randonneurs québécois ?
Âge moyen : 47 ans
48 % font de la randonnée 5 fois et moins par année
24 % en font 10 fois ou plus
40 % des adultes ont fait de la randonnée au cours des 12 derniers mois
66 % marchent moins de 2 heures
La majorité parcourt entre 2 et 5 km
Dépense principale : l’équipement et les vêtements
Source : Profil de la clientèle québécoise pratiquant la randonnée pédestre, la raquette et la marche hivernale, Fédération québécoise de la marche, Sépaq et ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, octobre 2015.