Mission Antarctique – Carnet de bord : SOS pour le grand continent de glace

Il existe des expéditions que l’on fait pour le plaisir, le défi ou l’accomplissement. Il y en a d’autres essentielles, de portée internationale, avec une mission réelle de sensibilisation. Mission Antarctique, c’est un peu tout ça...

Il y a bien sûr l’incommensurable plaisir d’être dans les plus beaux paysages de la planète, de côtoyer une faune exceptionnelle qui n’a peur de personne. Il y a aussi l’extraordinaire défi de navigation et de survie, dans des conditions environnementales périlleuses. Et il y a bien sûr l’indescriptible sentiment d’accomplissement pour ceux et celles qui ont décidé d’hiverner, d’affronter, pendant les neuf longs mois d’hiver antarctique, une nature souvent hostile, en isolement complet, perdus au cœur du grand continent de glace. Ici aucun sauvetage n’est possible, ni rapatriement. Face à lui-même, l’humain ne peut alors compter que sur lui et son équipe pour trouver les solutions à tout.

Observateurs universels

Mais derrière cette expédition de plus d’une année, derrière la passion de ces femmes et de ces hommes embauchés par la vie, il y a aussi un engagement réel envers le grand public : celui de rapporter des preuves irréfutables d’une situation environnementale menaçante. Les explorateurs deviennent alors les yeux du public, pour qu’il comprenne les grands enjeux environnementaux de notre planète. Notre équipe est constituée de scientifiques, de marins expérimentés et de cinéastes. Ces derniers ont pour tâche de rapporter des faits, de raconter des histoires qui traverseront le temps. Comme le faisaient à une autre époque les grands documentaristes Michel Brault ou Pierre Perrault. Quand ce dernier a réalisé « Pour la suite du monde », il ne filmait pas seulement les gens de l’île aux Coudres ou la pêche traditionnelle aux marsouins. Il créait une œuvre forte, le tableau précis d’une société qui allait immortaliser une facette de la culture de tout un peuple. Il n’avait pas seulement réalisé un film, il venait de fixer le temps pour que les générations se souviennent. Sans le savoir, il venait aussi de créer une relève silencieuse qui allait reprendre sa démarche, noble, dans l’espoir avoué d’immortaliser à leur tour le temps.

Passionnés par la mission, nous avons quitté le Québec en septembre 2005, dirigeant la proue du SEDNA droit au Sud, en route vers le dernier continent de glace :  l’Antarctique. Si tout se déroule comme prévu, nous devrions revenir à la maison en décembre prochain…

Nous avons choisi le secteur de la péninsule Antarctique comme destination finale parce que c’est l’endroit sur la planète qui s’est le plus réchauffé au cours des dernières décennies. La problématique des changements climatiques est mondiale, mais les pôles constituent des avant-postes qui, les premiers, réagissent aux bouleversements environnementaux.

Ici, les températures ont grimpé cinq fois plus rapidement que la moyenne mondiale, jusqu’à 2,5˚C au cours des dernières décennies. En hiver, certains secteurs de la péninsule ont vu leur température s’élever de 6˚C au cours des cinquante dernières années : une véritable catastrophe environnementale. La banquise d’hiver n’est plus ce qu’elle était et les grandes surfaces d’eaux libres, exposées à l’air, s’évaporent davantage, contribuant à une augmentation importante des précipitations. Le climat sec et aride de l’Antarctique n’est plus.

Rien ne va plus !

Autour de la péninsule Antarctique, la pluie et la neige ont complètement transformé le décor et nous devons nous battre au quotidien contre ces éléments nouveaux. Depuis que l’automne s’est installé, nous subissons les affres répétées des tempêtes incessantes qui compliquent considérablement notre travail. La température de l’océan s’est aussi élevée de 1˚C, menaçant l’écologie fragile et millénaire d’une grande partie des organismes marins. Les glaciers reculent à la vitesse grand V et le volume d’eau douce rejeté à la mer a doublé au cours des treize dernières années. Rien ne va plus au cœur du grand continent de glace!

Les effets des changements climatiques observés ici auront des répercussions inévitables sur l’ensemble de la planète. Par la nature de notre mission, nous sommes devenus des témoins privilégiés pour vous rapporter l’état des lieux. À chaque nouvelle sortie d’exploration, nous constatons l’ampleur des changements en cours. À chaque nouveau lieu visité, nous accumulons les preuves qui montrent que les choses ne vont pas bien. L’Antarctique est un avant-poste, une sentinelle qui crie haut et fort que le climat de la Planète est en pleine transformation. Mais saurons-nous entendre l’appel du Grand Sud?

Ici, nous sommes devenus un peu vos yeux et vos oreilles. Nous avons décidé de tout miser, d’aller jusqu’à la limite pour devenir de simples témoins des changements en cours. Nous le faisons pour nous, pour vous… Pour que la simple beauté du monde puisse être partagée comme une valeur collective empruntée aux générations futures.

Il y a des jours où la beauté de ces lieux nous permet de toucher au bonheur. Il y en a d’autres où le constat de tous ces bouleversements nous attriste profondément. Face à cela, nous ne sommes rien. Et pourtant, nous sommes en partie à l’origine du problème. Ici, depuis des millénaires, tout était stable, inchangé, en équilibre. En quelques générations à peine, nous avons réussi à transformer la vie, partout, et pour toujours.

Définitivement, il y a des missions essentielles. Des expéditions pour la suite du monde…

Bon vent!

Encore plus
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