Scandinavie : L’accès libre à la nature
Aimeriez-vous vous promener librement sur un territoire pour explorer ses plus beaux décors naturels, même s’ils se trouvent en terrain privé? Dans plusieurs pays du nord de l’Europe, c’est bel et bien possible.
« La Suède n’a pas de tour Eiffel, pas de chutes du Niagara ou de Big Ben. Pas même un petit Sphinx. La Suède possède autre chose — le libre accès à la nature. C’est notre monument. » Voici le message qu’on peut lire en visitant le site Web du ministère du Tourisme suédois. En fait, ce pays scandinave pousse même le concept marketing plus loin en proposant la Suède entière sur Airbnb — littéralement.
L’allemansrätt, le libre accès à la nature, est un droit inscrit dans la Constitution suédoise, ce qui permet de parcourir le territoire sur toutes les terres privées et publiques. D’après cette loi, il est possible d’y camper, d’accéder à ses plages, de s’y baigner et d’y récolter fleurs, champignons et baies, partout au pays. Il est même permis de pêcher gratuitement en mer et dans les cinq plus grands lacs suédois.
« Ce droit fait partie de notre culture, soutient Dag Avango, chercheur à l’Institut royal de technologie de Stockholm. Ça nous donne la pleine liberté d’explorer, de découvrir le territoire et de tracer notre propre chemin », estime l’adepte de randonnée et de ski. En été, il profite aussi de l’allemansrätt pour ancrer son bateau à plusieurs îles de l’archipel de Stockholm et y planter sa tente… loin des maisons sur place.
Car si le droit du libre accès à la nature fait rêver, il vient aussi avec son lot de responsabilités, ajoute l’amateur de plein air. « Il faut respecter les propriétaires pour se faire le plus discret possible, dit-il. Par exemple, il ne faut pas couper des arbres. On a le droit de faire un feu, mais il faut utiliser les branches au sol pour le faire. Et il faut bien sûr repartir avec tous ses déchets. »
© Henrik Trygg
Bref, il faut suivre les principes du Sans trace, comme on devrait toujours le faire partout où on va dans la nature d’ailleurs. Mais pour préserver ce droit qui fait la fierté des Suédois, il faut impérativement respecter les propriétaires des lieux, renchérit Geco Denkers, propriétaire de l’entreprise Outdoors Sweden, qui amène des touristes en plein air sur des terres privées, notamment sur les terrains de grandes entreprises forestières. « C’est plus qu’une responsabilité, c’est une obligation de laisser l’endroit comme on l’a trouvé », ajoute ce Néerlandais à la retraite, établi en Suède pour profiter pleinement de la nature.
Étant donné que l’origine de cette loi remonte au Moyen-âge, les propriétaires acceptent très bien l’idée de partager leur domaine. « Ça me fait toujours plaisir de voir des gens venir s’installer sur mes terres lorsqu’ils descendent la rivière en canot, ou juste pour passer du temps dans la nature, remarque Geco Denkers. S’ils font de trop gros feux, je vais simplement les voir pour leur dire d’agir de manière responsable. »
Selon Jonas Edvinsson, un Suédois de 36 ans qui habite à Montréal depuis 12 ans, ce principe reflète une des différences majeures entre la culture scandinave et la culture nord-américaine. « Ici, les gens pensent de manière plus individuelle, alors que les Suédois sont très fiers de s’identifier à un groupe plus large », dit-il.
N’empêche que les nouvelles pratiques de plein air mettent énormément de pression sur certains lieux, particulièrement dans les écosystèmes fragiles. De plus, certains groupes d’immigrants abusent parfois du concept, note Jonas Edvinsson.
« C’est un énorme privilège et nous devons le protéger, car notre qualité de vie serait diminuée si cette loi devait changer, croit Dag Avango. Ça fait partie de notre tissu social et de notre narratif historique. »
Pas juste en Suède
© Tomas Utsi
Alors que la Suède mise sur le libre accès à la nature pour faire la promotion du tourisme, plusieurs autres pays d’Europe honorent ce même principe, mais plus discrètement. C’est notamment le cas en Norvège (où on parle d’allemannsretten), en Finlande (où on honore le jokamiehenoikeus), en Écosse, en Islande, en Estonie, en Lituanie, en Lettonie, en Autriche et en République tchèque.
Il est aussi possible de se promener librement sur le territoire en Suisse… mais pas dans tous les cantons, explique Xavier Désilets, un Québécois qui s’est exilé dans les Alpes il y a cinq ans. « Certaines communes sont plus strictes, mais en général, il est possible de camper où l’on veut en montagne, dit-il. Il n’est pas question d’installer un camp de base pour une semaine; au petit matin, la tente doit être démontée. » C’est donc un outil de mise pour faire des tracés linéaires et s’arrêter où l’on veut pour profiter de paysages à couper le souffle… au lieu d’être obligé de monter sa tente sur une plateforme, à un endroit précis.
C’est ainsi que Xavier en profite de temps à autre pour aller planter sa tente sur les rives d’un petit lac de montagne ou encore pour dormir à la belle étoile en plein cœur des Alpes. « Ça permet de trouver des endroits plus sauvages, même si le pays est densément peuplé », ajoute ce dernier.
Et au Québec?
Chez nous, à défaut de disposer d’un libre accès sur les terres privées, on peut se rabattre sur l’idée que 92 % du territoire est public. En dehors des parcs, il est même possible de laisser sa tente au même endroit pour une durée allant de 21 jours… à 7 mois (dépendamment du lieu) ! C’est d’ailleurs ce droit qu’utilisent plusieurs cueilleurs de petits fruits ou de plantes sauvages pour monter un camp pendant l’été. Mais tout comme en Suède, ce privilège vient avec la responsabilité de laisser les lieux dans la même condition que lorsqu’on est arrivé.