Une tribu autour du Mont Blanc
Traversant la France, l’Italie et la Suisse, le tour du Mont Blanc s'étire, selon les variantes, sur une distance de 170 kilomètres. Une randonnée estivale spectaculaire avec de beaux défis; mais si l'on fait le parcours en famille, le challenge devient alors une aventure d'équipe.
Notre aventure débute un jour de fête nationale française, le 14 juillet. Ayant planifié ce projet pour nos vacances familiales et décidé de partir sans guide, nous avons opté pour le tour « traditionnel ». Nos deux garçons, âgés respectivement de 10 et 12 ans, Zachary et Ludovic sont déjà bien sportifs et entraînés aux activités de plein air. L’itinéraire et le choix d’équipement ont donc été discutés en équipe. Le cadet a pris en charge la préparation de la trousse de premiers soins et les différents types de balisages. L’ainé quant à lui était responsable des recherches sur la météo et la sécurité en montagne.
Après une visite à La Maison de la Montagne, à Chamonix, pour vérifier la météo et quelques derniers conseils, nous nous dirigeons vers le village Les Houches et la gare du téléphérique de Bellevue. En moins de quinze minutes, nous voici à 1 800 mètres grâce à l’ascenseur le plus rapide d’Europe! Nous évitons ainsi la montée par le col de Volza, peu intéressante. Devant nous, un panorama à 360 degrés s’étire sur le massif du mont Blanc. Neuf jours de randonnée et 120 kilomètres de marche avec un dénivelé positif total de plus 5 600 mètres nous attendent! Sacs au dos et c’est enfin un départ! Direction : le col du Tricot (2 120 m) afin de voir le glacier du Bionnassay et les belles vues sur la région des Contamines et des dômes de Miage.
La randonnée
Les préparatifs Le tour du Mont Blanc est une randonnée exigeante nécessitant une bonne condition physique et une préparation minutieuse. Selon les distances journalières, le parcours dure en moyenne de 8 à 10 jours. Pour les enfants, le port du sac à dos avec leurs effets personnels se transforme en véritable élément de fierté. Comme vous porterez vos bagages tout au long de la randonnée en progressant sur des sentiers rocheux, il vaut mieux opter pour des bottes avec une tige haute et une semelle en gomme dure, ainsi que des bâtons de marche légers.
Prévoir : différentes couches de vêtements : une pour évacuer la transpiration, une deuxième pour rester au chaud et une troisième pour les intempéries. |
Après notre première grosse journée, nous réalisons que ça prend de la jasette pour garder un enfant de 10 ans motivé pendant neuf heures de marche et que nous avons été très ambitieux dans nos calculs... Une longue montée, avec un sérieux dénivelé, nous attend. À 7 h, nous voilà déjà en train de descendre dans l’alpage pour remonter ensuite dans un boisé de conifères puis dans un sentier empierré avec vue sur les glaciers. Nous atteignons le plan des Dames (2 043 mètres). Selon la légende, une dame anglaise y repose et chaque randonneur y dépose une pierre afin d’éloigner le mauvais sort. Il nous reste encore 400 mètres de montée. Mais après l’effort, la récompense. À l’arrivée au sommet du col du Bonhomme, une colonie de 25 bouquetins nous attend! La vue du troupeau nous émerveille au point de nous faire oublier que nous avons franchi 1 400 mètres de dénivelé.
Le troisième jour, nous décidons d’ajouter une petite variante fortement recommandée par beau temps : le sommet de Tête Nord des Fours. La montée est abrupte, mais le paysage majestueux; des bouquetins curieux déambulent entre les névés. Des sentiers forestiers, embaumés par les sapins, aux prairies alpines couvertes de fleurs, chaque journée oscille dans un décor différent.
Arrivés à la Tête Nord des Fours, une vue grandiose sur le mont Blanc nous attend à 2 756 mètres d’altitude. Ce sera le point culminant de notre randonnée.
Le jour suivant, départ matinal vers le col de Seigne. Le soleil plombe sur le versant italien du mont Blanc. Après deux heures de montée, nous arrivons à Courmayeur. Paradoxe étonnant, on retrouve encore des vestiges de l’époque romaine dans ce centre d’alpinisme international. Après 4 jours de marche, nous y prenons une journée de repos pour laver quelques vêtements et déguster des gellati!
Pleins d’énergie, nous laissons Courmayeur derrière nous, mais hélas sous les nuages et la pluie, qui dissimulent les grands paysages suisses. Avec les conditions météorologiques, la prudence est de mise. On ne voit que quelques mètres devant et les chemins deviennent glissants. La randonnée paraît plus physique et nos enfants commencent à se sentir bien loin de la maison. Nous avons tous nos petits moments difficiles, mais heureusement, une belle complicité s’installe. Quand l’un des frères manque d’énergie, l’autre l’encourage.
Le 7e jour, il fait près de 0 degré C et nous devons enfiler tuques et mitaines. Un pas à la fois, nous atteignons le sommet du col Ferret, frontière entre l’Italie et la Suisse. Nous espérons y voir les massifs granitiques du mont Blanc et le glacier du Dolan à 3 820 mètres. Mais nous restons complètement dans les nuages. En chemin, nous croisons fréquemment d’autres randonneurs, dont un vieux monsieur français inspirant. Après un arrêt cardiaque sévère, il s’est promis de faire le tour si la vie lui permettait de souffler ses 70 chandelles. Et le voilà, accompagné de son fils, gravissant les cols d’un rythme lent mais serein malgré les intempéries.
À notre grande surprise, pour les enfants la difficulté devient l’un des plaisirs de la randonnée. « Notre prochain col, c’est quand? demande Zachary. Combien de dénivelé? Est-ce qu’il y aura de la neige? » Une de nos joies réside dans le regard différent qu’ils portent sur ce qui les entoure. Pendant que mon mari et moi respirons l’air alpin, Ludovic, notre plus vieux, nous fait découvrir les petites beautés cachées au milieu de l’immensité des Alpes : une libellule, les gouttes de pluie qui coulent sur les feuilles ou ce superbe scarabée vert fluorescent. Chaque journée comporte des surprises : moutons, marmottes et bovins dans les alpages.
Le tour du Mont Blanc est un itinéraire très prisé. Certains randonneurs apprécient les grands espaces. D’autres focalisent sur l’effort, la rapidité et le dépassement physique. Certains font le tour en solitaires, d’autres préfèrent le défi en groupe. Quoi qu’il en soit l’itinéraire semble avoir un effet magique. Peu importent les conditions ou les difficultés, tout le monde arrive au refuge le cœur joyeux et partage sa journée, son itinéraire ou son histoire. D’ailleurs, chaque refuge a son cachet et l’on y savoure des spécialités culinaires locales. On y mange habituellement très bien y compris le succulent Beaufort et autres fromages alpins.
Le 9e jour, départ à 7 h 20. Selon les prévisions, nous arrivons à Chamonix avec le retour du soleil. À l’arrivée au col de Balme, le ciel est dégagé, nous revoyons le mont Blanc du côté français. Nous avons peine à croire que quelques jours plus tôt, nous étions de l’autre côté. Nous croisons un éleveur et son troupeau de vaches d’Hérens, célèbres pour les traditionnels combats corne à corne qui, depuis le début du siècle, attirent de nombreux spectateurs dans la vallée. Cet homme a passé sa vie dans les alpages. Il partage maintenant son savoir et sa passion avec son petit-fils de 11 ans qui l’accompagne tout l’été, « loin de Facebook et d’Instagram » nous font remarquer les enfants. Un sentiment de légèreté nous imprègne. Nous avons réussi l’aventure spectaculaire d’encercler pas à pas le toit de l’Europe.
Une autre histoire de tour du Mont Blanc, en vidéo :