Pédaler, randonner et pagayer sur la Canol Heritage Trail
L’été dernier, deux Sherbrookois ont parcouru la Canol Heritage Trail à pied, à vélo et en packraft, au départ de Whitehorse. Récit de leur aventure de 720 km en totale autonomie sur ce mythique sentier du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest.
À la blague, un membre de ma famille m’a un jour demandé : « J.-P., pourquoi pars-tu si loin? Les sentiers de Sherbrooke sont fermés? »
Avec du recul, je réalise qu’il y avait dans mon projet une quête inexplicable pour découvrir ce sentier si peu exploré, la Canol Heritage Trail, qui traverse le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest (T.N.-O.). Des régions si isolées par leur positionnement géographique, mais si proches par leur appartenance au Canada.
Avant même d’amorcer notre expédition, la fébrilité et la passion nous animaient, mon bon ami Yannick et moi. Une fois sur place, les panneaux gouvernementaux en bord de route « Yukon – Larger Than Nature » décrivaient bien ce que nous voyions à mesure que nous pédalions. Nous ne nous doutions alors pas que ce slogan allait prendre plus de sens au cours de l’expédition.
Les premiers kilomètres ont été drôlement difficiles : toute la charge (nourriture pour six jours et matériel pour trois semaines) à l’intérieur d’une seule remorque devait être tirée par un seul vélo. Nous alternions donc toutes les deux heures, de façon à garder un rythme décent.
Le seul resto situé sur notre itinéraire se trouvait au village de Johnsons Crossing, dernier relais avant d’emprunter la solitaire Canol Road menant à Ross River, 225 km plus loin, où nous avions envoyé par colis la deuxième remorque.
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Même si le resto était fermé, la propriétaire l’a rouvert pour nous avant de nous concocter une sorte de poutine maison — de quoi faire le plein de réserves de gras. Les prochaines journées seraient longues alors que nous devrions compenser une vitesse réduite à sillonner rivières et montagnes avec des conditions météorologiques changeantes, tout en nous mettant à deux pour pousser une remorque démesurément lourde à chaque montée. Puis, la petite communauté autochtone de Ross River se fit enfin nôtre, six jours plus tard. Mais un imprévu de taille nous attendait.
Un colis problématique
Le colis que nous avions envoyé par autobus de Sherbrooke, deux mois plus tôt, était bel et bien arrivé à destination, mais il était… vide. À l’envoi, il contenait toute notre nourriture pour deux semaines d’autonomie, calculée au gramme et à la calorie près, ainsi que quelques équipements nécessaires (remorque à vélo, sac de rando, etc.). Inutile de préciser que le pronostic de l’expédition nous est alors apparu catastrophique.
Deux jours plus tard, nous avions néanmoins réussi à retourner à Whitehorse (12 heures de route aller-retour) avec la camionnette du villageois chez qui nous séjournions (un vrai ange gardien) pour nous réapprovisionner en nourriture. Mais notre menu était plus lourd et à moindre teneur calorique.
Pour compenser notre retard, un autre bon samaritain est venu nous reconduire en camionnette à la frontière des deux territoires, à 250 km au nord. Finalement, nous avons réassemblé nos vélos et divisé le matériel pour repartir à coups de pédales sur la Canol Heritage Trail avec deux remorques bien chargées.
© Jean-Philippe Marcoux et Yannick Daoudi
C’était magique. En plus d’être stimulés par l’adrénaline en cheminant le long d’une « route » non entretenue depuis 75 ans, aux tronçons parfois inexistants, et parsemée de vestiges de la Deuxième Guerre mondiale, nous avions le vent dans les voiles. Nos journées et nos soirées étaient ponctuées d’aurores boréales, de hordes de caribous en liberté, de tisanes infusées à même les plantes sauvages, de discussions profondes sur la vie et son sens, et bien plus encore.
Hormis quelques éraflures, ampoules ou douleurs articulaires propres à ce type d’expé, aucun problème de santé ne nous a affligés. Dans de telles circonstances, l’appréciation d’être si isolé et de se sentir pleinement vivant au cœur d’un lieu si immense a alors vraiment pris tout son sens.
Sur le mode du packraft
Il nous restait environ 215 kilomètres de marche à parcourir quand nous avons planqué nos vélos, usés à la corde — et pour de bonnes raisons! — en attendant qu’un musher de Ross River passe les récupérer. La première de trois traversées de grosses rivières se dressait devant nous, là où des aventuriers ont laissé leur peau au fil des ans.
© Jean-Philippe Marcoux et Yannick Daoudi
Mais nous avions prévu le coup : nous étions équipés d’un packraft, une embarcation gonflable qui, après avoir été une charge non négligeable à traîner depuis Whitehorse, allait littéralement nous sauver la vie. Une fois de l’autre côté du cours d’eau, après une belle première descente de cinq kilomètres, le matériel séché et la nuit passée, il ne nous restait que nos bottes, bâtons de marche et sacs à dos comme armes pour atteindre notre destination finale.
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Rattraper un retard d’environ une journée sur le plan initial, en pédalant et en marchant, s’est avéré un défi bien plus psychologique que physique. Lorsque l’esprit est conditionné à poursuivre un but et qu’il commande des ordres précis sur la façon d’y arriver, le corps devient le meilleur esclave pour y parvenir.
Malgré les nombreux obstacles rencontrés sur notre chemin — bris d’équipement, une centaine de traversées de rivières, risque élevé de rencontre avec des animaux sauvages, disparition de toute trace d’un sentier, conditions météo changeantes —, nous n’avons jamais baissé les bras et nous avons persévéré jusqu’au dernier pas.
© Jean-Philippe Marcoux et Yannick Daoudi
Une fois rendus au fleuve Mackenzie, destination (presque) finale de notre expédition, nos bottes de rando avaient rendu l’âme, nous étions à sec de nourriture et nous devions traverser ce dernier cours d’eau, immense, qui se tenait entre nous et Norman Wells, petit village d’où nous pourrions rentrer à Montréal.
De Whitehorse (Yukon) à Norman Wells (T.N.-O.), nous aurons finalement cumulé plus de 720 km en 19 jours de façon entièrement autonome, que ce soit à pied, à vélo ou en packraft — du jamais vu selon tous ceux que nous avons rencontrés au départ et à l’arrivée. Au cours de cette expé, nous n’aurons d’ailleurs croisé que six êtres humains : un couple, deux randonneurs et deux gardes-chasse…
© Jean-Philippe Marcoux et Yannick Daoudi
Savoureux épilogue
L’assiette de frites et hamburgers (à 40 $) que j’ai lentement savourée à Norman Wells était un rêve que je caressais depuis des semaines. J’en conviens, ce n’est pas un objectif noble, mais ça motive! Une fois ce chapitre terminé, c’est avec les jambes lourdes, mais le cœur léger que nous avons pu profiter d’une petite escale de 24 heures à Inuvik, là où Autochtones et gens du sud du Canada cohabitent, là où une certaine détresse sociale afflige une communauté charmante, créative et mystique.
Trois semaines plus tard, jour pour jour, je me marierais et j’entamerais la vraie aventure de ma vie. Mais je suis loin d’être demeuré indifférent quand une sexagénaire mordue de plein air nous a lancé cette phrase, quelques minutes avant notre vol de retour : « Happy adventures for the rest of your lives! »
Pour un condensé en images de expédition, visionnez la vidéo ci-dessous :
A présenter aux jeunes à l'école et en maison de jeunes...une belle expédition et aventure, merci pour le partage.