Traversée de la Gaspésie à bottine : randonnée démesurée
En septembre, la Traversée de la Gaspésie à bottine en sera à sa cinquième édition. Pour vous mettre l’eau à la bouche (et des fourmis dans les jambes), notre collaboratrice a pris part à cette fabuleuse rando l’an dernier. Récit d’un défi à la démesure du pays.
« C’est un roc! C’est un pic! C’est un cap! Que dis-je, c’est une péninsule! » clamait Cyrano en parlant de son illustre nez.
La péninsule gaspésienne, c’est le nez du Québec. Et quel nez! Immense, imposant, majestueux, prêt à respirer tous les parfums d’une nature sauvage faite de roches, d’écume de mer et de montagnes. Un nez qui est aussi le royaume de la TDLG, cette randonnée de six jours à travers quelques arpents de grandiose.
Dès la descente de l’autobus, on fait connaissance avec le proverbial accueil gaspésien. Cet accueil qui te prend à bras le corps, t’étreint comme un ours et ne te lâche pas avant de t’avoir coupé le souffle.
En Gaspésie, tout est grand, généreux, à perte de vue. L’organisation de la TDLG a tout prévu pour nous charmer du premier coup : on est reçus dehors avec vue plongeante sur la mer, hydratés à la bière gaspésienne (du solide), et un excellent groupe de jazz manouche nous sérénade ça alors que le ciel de Bonaventure offre son heure magique sur un plateau en or.
Le ton est donné.
Bonaventure, 15,6 km
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Après un gargantuesque petit déjeuner, nous voilà en route pour notre première randonnée de la semaine — une « petite mise en jambes » de 16 km sur la grève de Bonaventure. Aucun dénivelé au programme, juste une belle longue marche sous un ciel gris qui diffuse une lumière douce. Peu à peu, des sous-groupes se forment naturellement, au gré du rythme et des personnalités de chacun. Si le niveau de difficulté est bas pour ce premier jour, le plaisir, lui, est immense. Il n’y a qu’à avancer et à s’en mettre plein la vue, les yeux tournés vers l’océan.
C’est le cœur léger qu’on se dirige ensuite vers l’apéro du soir, offert au chic Café Acadien de Bonaventure. Tenu par Christophe Rapin, un Français de Montréal au rire aussi large que le cœur des Gaspésiens, la réussite du lieu tient dans cet amalgame organique entre la sophistication du vieux monde et le charme du nouveau. La plus belle crema sur un espresso, c’est aussi au Café Acadien qu’on la trouve.
Demain matin, direction parc national de la Gaspésie…
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Mont Xalibu, 17,8 km
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Le mont Xalibu, de l’algonquin « Caribou » et que je persiste à rebaptiser Xanadu (maudit ver d’oreille façon Olivia Newton-John qui ne me quittera pas de la journée), est un des plus beaux sommets des Chic-Chocs.
Voilà une randonnée qui contraste avec celle de la veille. Pendant 5 km, ça monte, ça monte, ça monte! Nous suons à grosses gouttes sur quelque 1200 mètres d’élévation. Les sentiers sont beaux, pas si difficiles, sauf une portion très rocailleuse, beaucoup plus technique, sur le dernier kilomètre de montée.
Après l’effort, la récompense. Lorsqu’on relève la tête pour enfin profiter de la vue, on a le souffle coupé devant tant de majestueuse beauté. Partout où l’on pose les yeux, c’est vaste, immense, prodigieux, et nous sommes entourés des plus hauts sommets de la région : le mont Albert, le mont Richardson, le mont Jacques-Cartier.
Jamais sandwich au jambon ne m’a paru si délectable.
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Trois fois les Chic Chocs, 17 km
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Un petit crachin froid tombe sur les Chic-Chocs en ce troisième jour. Le parcours s’annonce beau et un brin rude : une longue boucle qui monte par « coups » et qui couvre trois sommets, ceux du mont Arthur-Allen, du mont Blizzard et du pic de l’Aube.
Le Xalibu a laissé sa marque dans mes jambes, sollicitées par l’ascension et encore plus par la descente. À moins que ce soit cet apéro qui s’est éternisé? Qu’importe : une fois les jambes réchauffées, les courbatures s’estompent et je retrouve un rythme confortable et régulier. La majesté de la nature, impériale, rend humble. Ici, dans les Chic-Chocs, jamais elle ne nous laisse oublier qu’elle nous domine.
La petite pluie qui tombe donne un lustre sans pareil au paysage d’automne, vernissant les feuilles, les troncs et les racines. Elle rend aussi les pierres glissantes et nous force à rester attentifs tout au long du périple… Ce mélange entre effort et concentration donne un magnifique exercice de zen qui fait passer la journée très vite.
Et au retour, on nous attend avec des shooters de gin chaud!
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Mont Albert, 17,3 km
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Le plus difficile, le plus majestueux, celui qui me hante encore. Qu’est-ce qu’il a de spécial? Une longue boucle, avec une ascension très à pic de 5 km qui impose le silence. Tout ce que j’entends quand je dépasse un autre randonneur ou qu’on me dépasse, c’est un souffle, amplifié par l’effort.
Le sommet, escarpé et rocailleux à souhait, nous attend dans un écrin de brouillard. Quelques centaines de mètres plus bas, le paysage est lunaire, hors du temps. Ici, on est à la fois sur la planète Mars et dans un livre de Tolkien, un pays de toundra, une terre du Milieu où tout est ocre, mouillé, mousseux, et où les pierres s’entrechoquent quand on y pose le pied. À tout instant, j’ai l’impression que Gandalf sortira des brumes pour venir vers nous.
Ce sont les caribous qui apparaissent… Un gros buck et quatre femelles, roi et reines du royaume, magiques et rares.
La descente de la grande cuve exige un focus de tous les instants pour poser le pied au bon endroit. Je l’avoue sans honte : pour descendre, il m’est arrivé de m’agripper aux grosses roches, façon « petit singe », trop prise de vertiges quand je tentais de rester debout.
La fin du parcours descend moins à pic, mais elle est tout aussi difficile, très technique avec ses énormes roches qui te font renoncer à toute forme de régularité dans le rythme et t’imposent une stratégie différente pour chaque pas.
Albert, mon amour, tu m’en as fait voir de toutes les couleurs. Je reviendrai.
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Grande-Vallée et Petite-Vallée, 12,2 km
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Le lendemain, nous retrouvons le vaste horizon de la mer… Cette cinquième journée de randonnée est à saveur de cornet de crème glacée, comme celui offert aux randonneurs par le glacier de Grande-Vallée… Érable et grand air font très bon ménage.
Alors qu’il n’y a pratiquement aucun dénivelé à part le charmant mont Didier, les galets, les quartz et le lichen de bord de mer constituent un défi d’un autre ordre : conserver son équilibre, échapper à la vague, avancer sans glisser.
Ce jour-là, il fait grand bleu et grand vent. Le soleil brille et les lames d’argent du bris des vagues scintillent, éblouissantes.
Devant moi, la file des randonneurs avance, solide et régulière. Nous sommes les bêtes d’une transhumance qui est allée se gaver d’horizons au sommet des montagnes avant de redescendre dans la plaine.
Demain, c’est déjà la dernière journée.
Parc national Forillon, 19,8 km
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Nous partons de Petit-Gaspé et nous longeons la mer tout du long — Grande-Grave, L’Anse-Saint-Georges, L’Anse-aux-Amérindiens — jusqu’au cap Gaspé, la pointe la plus septentrionale de la péninsule, le bout du monde.
Forillon est au randonneur ce que le saint-honoré est au mariage : un point d’orgue, un délice de fin de repas, une suite de petits choux fourrés de crème et caramélisés à la perfection.
Bien que ce soit la plus longue randonnée en matière de kilométrage, c’est aussi la plus fluide, celle qui se laisse prendre sans combat, une joie de tous les instants : sentiers d’herbe et de terre battue, vallons ondoyants de douceur, panoramas à couper le souffle en haut des falaises qui surplombent la mer, vue sur les attroupements de gros phoques noirs et sur cet océan par lequel sont arrivés tant de navires… Terre! Terre!
Le plus gros péril de la journée est d’éviter de marcher dans les crottes d’ours, qui abondent sur le territoire de Forillon. Les bêtes elles-mêmes? On ne les a jamais vues!
À la démesure du reste de la semaine, le dernier apéro s’éternise devant la célèbre poutine aux crevettes du bistro le Brise-Bise, à Gaspé, et quelques bouteilles d’excellent champagne, un insolite et parfait accord pour célébrer la fin de la route.
La TDLG, c’est plus qu’un défi sportif, c’est un poème aux parfums salins, une tirade de crevasses et d’escarpements, une envolée d’embruns, que dis-je, c’est une aventure au cœur de l’humain.
Et une semaine d’éternité au pays des géants.
La prochaine Traversée de la Gaspésie à bottine aura lieu du 23 au 28 septembre prochain.
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