Rechercher dans le site espaces.ca
  • © Alexandre Bilodeau Desbiens et Julie Carrier

Longue randonnée : Deux mois à pied au cœur de la Géorgie

L’été dernier, Alexandre Bilodeau Desbiens et Julie Carrier ont traversé la Géorgie à pied, reliant du coup la Russie et l’Arménie. Compte-rendu d’un trek inédit de 576 km à travers les montagnes du Caucase… hors des sentiers balisés.

L’homme nous dessine une carte de la région à même son portail d’entrée. Sur la peinture blanche écaillée, il trace des lignes avec un marqueur indélébile pour représenter les routes de la région et nous faire comprendre que nous sommes perdus : il n’y a rien ici. Le chemin de terre que nous suivions? Il s’arrête là, chez lui.

Nous sommes en pleine forêt et en pleine montagne. Autrement dit, nous sommes en pleine Géorgie.

Située entre l’Arménie, la Turquie et la Russie, la Géorgie n’était pas une étape prévue dans mon tour du monde. Mais dès ma première visite, dès mes premières rencontres avec ses habitants, j’ai été séduit. À un tel point que l’idée de découvrir ce pays de fond en comble s’est imposée comme un rêve, rien de moins. Trois ans plus tard, toujours en voyage autour du globe, j’y suis enfin retourné.

Parce que mon expérience m’a appris que la randonnée est l’une des meilleures façons d’accéder à des endroits authentiques, d’être témoin de paysages grandioses, de rencontrer la population locale et de goûter la culture et la nature dans leur état le plus pur, Julie et moi avons décidé que nous visiterions ce pays en trek, du nord au sud, même si aucun sentier n’existait pour concrétiser notre idée.

À force de gestes et de sourires, l’homme d’une quarantaine d’années nous invite finalement à le suivre à l’intérieur de sa maison pour prendre une pause et dîner avec lui. Dehors, sur une petite table coincée entre sa demeure et sa douzaine de ruches, Aleksander l’apiculteur nous sert alors tout ce que sa cuisine contient, verre de vin maison compris, sous le regard ravi de sa mère et de sa grand-mère, incrédules : des touristes chez eux, c’est du jamais vu!

Une fois de plus, l’accueil chaleureux des Géorgiens se moque formidablement de la barrière de la langue. Même s’ils ne maîtrisent pas plus l’anglais que nous le russe, nous sommes reçus comme des rois et reprenons les sentiers avec une bouteille de leur miel le plus frais en guise de présent et… de carburant pour poursuivre notre route.

Un paradis de la randonnée

© Alexandre Bilodeau Desbiens et Julie Carrier

En Géorgie, les paysages sont à couper le souffle, tout simplement. Le nord du pays, parsemé de montagnes de 5000 m et plus, est surréel. La proximité des glaciers et des sommets enneigés fait rêver, alors qu’ils surplombent majestueusement les minuscules villages à l’allure médiévale, nichés dans les vallées. Les énormes flancs de montagnes verts et couverts de fleurs offrent des vues ouvertes spectaculaires sur les alentours, rendant chaque journée de marche grandiose et féérique.

Un peu plus au sud, à travers les villages reculés, c’est la générosité géorgienne qui est à l’honneur. Se faire offrir des fruits et légumes du jardin, des verres de tchatcha (vodka locale) à toute heure du jour ou être invité à manger à l’improviste est chose courante quand on s’y aventure. Un jour, sur un chemin de montagne, un gros camion s’est arrêté près de nous et son chauffeur a klaxonné pour attirer notre attention. Le passager a alors ouvert sa portière, a fouillé dans un sac de plastique et nous a tendu deux nectarines bien juteuses. Sans un mot d’anglais, il nous a salués de la main avant que le camion s’éloigne.

Même dans les villes, l’accueil des habitants n’a aucune commune mesure. Le lendemain, un jeune homme nous a arrêtés sur le trottoir du centre-ville de Tchiatoura pour sortir de son sac à dos quelques pâtisseries locales. Le sourire timide, il nous en a offert un paquet avant de reprendre son chemin, hochant la tête au son de nos remerciements, mais sans jamais prononcer un mot.

La Géorgie, c’est aussi le berceau de la viticulture : les premières traces de vin y remontent à plus de 8000 ans. Les gourmands (comme moi) ne peuvent que se réjouir de tous les fromages locaux, des alcools maison et des succulents mets caucasiens : les khinkalis, de gigantesques raviolis, et les vins rouges légèrement sucrés font partie de l’âme unique du pays et ajoutent beaucoup à son charme. Alliée à la surprenante générosité des gens, la cuisine géorgienne devient particulièrement difficile à ignorer!

La bonne volonté est telle qu’elle peut même dépasser les bornes, du moins les miennes, et devenir embarrassante. Nous l’avons constaté une nuit, quand un vieux 4 x 4 s’est aventuré dans le champ pour s’arrêter à quelques mètres de nous, les phares braqués sur notre tente.

À minuit et demi, ça réveille!

Sans un mot d’anglais, le gentil monsieur nous a fait comprendre qu’il craignait pour notre confort et nous a invités à dormir dans la maison de sa famille. Visiblement incapable de nous convaincre (qui a envie de ranger toutes ses affaires au beau milieu de la nuit pour aller dormir chez des inconnus?), il a téléphoné à une amie en ville. Manifestement dérangée dans son sommeil, la dame nous a traduit dans un anglais approximatif l’invitation et les inquiétudes de l’homme quant aux loups et aux ours de la région, mais en vain. Heureux de nous avoir offert l’hospitalité, notre bon samaritain est reparti vers le chemin de terre, nous laissant pantois : la générosité géorgienne ne connaît aucune limite, et nous le réalisons à chaque rencontre.

Traverser le pays à pied

© Alexandre Bilodeau Desbiens et Julie Carrier

À moins d’emprunter un sentier balisé et fréquenté comme la Pacific Crest Trail aux États-Unis, il faut être prêt à improviser et à s’adapter sans cesse pour randonner d’un bout à l’autre d’un pays. À cet égard, j’avais de l’expérience derrière la cravate (et dans les bottes de marche) avec diverses grandes randonnées en solo à mon actif, comme la voie Lycienne en Turquie, l’Overland Track en Australie, le tour de l’Annapurna et le trek des trois cols, au Népal.

Malgré tout, se lancer dans un sentier qui n’existe pas demande un peu plus de débrouillardise que d’ordinaire. Et dans un pays aussi peu visité que la Géorgie, ça signifiait aussi que les auberges, épiceries et restaurants seraient assez rares. Il faut donc planifier et adapter son itinéraire pour croiser des villes de temps en temps, question de prendre une douche et de se ravitailler.

Il faut aussi oublier la bouffe lyophilisée et autres aliments de pointe créés pour le plein air, complètement inconnus dans la région. On commande un poulet complet au restaurant pour le désosser et l’apporter dans un petit plat, on demande à un sympathique propriétaire de nous faire bouillir une douzaine d’œufs achetés plus tôt et on découpe une pizza en morceaux qui se rangent bien, même si ce ne sont pas les mets les plus légers pour nos sacs à dos déjà trop pleins.

Mais quand on sort des sentiers tracés, il faut faire avec ce qu’on trouve.

Bien qu’il faille être suffisamment préparé pour entreprendre un trek tracé à la main aussi original et ambitieux, on trouve de temps en temps quelque chose d’inattendu, pour ne pas dire d’inespéré.

Ainsi, lors de l’une de nos nombreuses étapes de trois jours en pleine autonomie, nous étions trempés jusqu’aux os par 24 h de pluie et d’orages, tentant tant bien que mal de suivre un tracé GPS approximatif à travers cols et montagnes. Et c’est alors qu’est apparue au loin une petite cabane en bois, comme tombée du ciel. Ce refuge pour bergers et son minuscule poêle, placés au milieu d’une vallée sauvage verdoyante, nous donnaient juste assez d’espace pour étendre nos sacs de couchage et faire sécher nos bottes et vêtements.

Comme si la Géorgie ne nous avait pas déjà accueillis assez chaleureusement, avec ses montagnes pleines de majesté, ses vins enivrants et son peuple tissé de générosité.


Notre trek en chiffres

© Alexandre Bilodeau Desbiens et Julie Carrier

Départ : glacier Ushba, à trois kilomètres de la frontière russe
Arrivée : poste frontalier arménien de Bavra
Distance totale parcourue : 576 km
Poids porté (en moyenne) : 25-27 kg
Dénivellation positive : 23 000 m
Dénivellation négative : 22 500 m
Jours de marche : 29 jours
Durée totale : 55 jours


La Géorgie, c’est…

Population : 3 725 000 habitants
Langue officielle : géorgien
Langues secondes les plus répandues : russe, anglais
Capitale : Tbilissi
Religion majoritaire : chrétienne orthodoxe
Indépendance de l’URSS : 1991
 

Commentaires (0)
Participer à la discussion!