Aménagement de sentiers pédestres
La randonnée pédestre est l’une des activités de plein air les plus populaires, mais aussi l’une des plus simples. Pour qu'il en soit ainsi, il faut des infrastructures que l'on tient trop souvent pour acquises. Comme nous l’avons constaté sur le terrain, l'aménagement d'un sentier de randonnée efficace est un art qui ne s'improvise pas.
« La plus grande aire protégée privée au Québec ». C'est ainsi que se présente la Réserve naturelle des Montagnes-Vertes (RNMV). Cela fait d'emblée une belle carte de visite pour ce territoire de 65 km2, le secteur québécois des Appalaches collé sur la frontière américaine, coincé entre les villages de Sutton et de Mansonville. C'est aussi une destination évidente pour les amateurs de randonnée.
Depuis l'avènement de la réserve en 2001, une quinzaine de kilomètres de sentiers ont été aménagés qui relient les réseaux déjà bien établis des Sentiers de l'Estrie, du parc d'environnement naturel de Sutton et de la plus petite réserve de la Vallée-du-Ruiter. À l'été 2011, on s'y est affairé à ouvrir de nouveaux tronçons du côté des sommets situés dans le secteur Singer. À l'invitation de Corridor Appalachien et de Conservation de la Nature Canada, les organismes qui chapeautent la RNMV, nous sommes allés constater sur place ce qu'implique l'aménagement réfléchi —et non anarchique comme cela l'a été à une autre époque —d'un sentier de randonnée moderne.
Du gars de bois au technologue
« Dans le temps, les urbains en manque de nature avaient une telle soif envie de découvrir la forêt que l'on ouvrait des sentiers n'importe où et n'importe comment. Les autodidactes s'improvisaient aménagistes —ce qui est pourtant une spécialité dans l'industrie forestière —et les cicatrices laissées derrière eux sont encore visibles », dit Jean Lacasse, le coordonnateur en aménagement à la RNMV. On pourrait croire qu’il est un « vieux de la vieille », mais ce gaillard souriant n'a que la quarantaine avancée. On parle donc d'un passé pas si lointain : « Ici même, je pourrais te montrer d'anciens chemins d'accès pédestres tracés tout droit dans la ligne de pente, qui ont fini par devenir des saignées d'érosion qu'il faudra, un jour ou l'autre, tenter de guérir. »
On veut maintenant procéder avec plus de recul et de circonspection, surtout en ce qui a trait à la planification et à la qualité de l'expertise requise pour la mise en œuvre des nouveaux sentiers. Le problème, c’est que ce savoir s'apprend rarement sur les bancs d'école, mais beaucoup plus dans le bois, au fil des découvertes et des expériences. Selon Gilbert Rioux, aménagiste de longue date à la Sépaq, on compte sur les doigts de la main le nombre de concepteurs de sentier digne de ce nom au Québec et c'est rarement dans la main-d'oeuvre forestière que se recrute de nouveaux talents.Malgré le fait qu'une demi-douzaine de cégeps proposent des programmes en technologie forestière (et deux universités —Laval et Moncton —pour un suivi d'études supérieures), le récent contexte de réorganisation —pour ne pas dire de crise —dans l'industrie des forêts n'offre pas des perspectives d'avenir très aguichantes pour les intéressés. « Surtout lorsque tu es payé entre 10 et 15 $ de l'heure, il faut vraiment aimer ça! », souligne Jean Lacasse, qui a supervisé son lot de travailleurs, notamment dans son emploi précédent de directeur de l'aménagement à l'ancien parc de La Vérendrye. Pas surprenant, dans ce contexte, qu'on se rabat souvent sur des bénévoles qui constituent « un carburant majeur pour le développement de l'activité de la randonnée, mais dont le niveau d'expertise, autoperçu ou véritable, doit être soigneusement examiné et supervisé avant de les “lâcher lousse” », poursuit-il.
Après une demi-heure de montée, à écouter et interroger mon hôte sur les différentes notions et techniques d'aménagement au fil du relief et des caprices du terrain que nous foulons, nous rejoignons la petite équipe de quatre travailleurs, en train de besogner dur dans un passage en pente dont l'irrigation pose problème. « Wow, les gars! Beau travail! », s'exclame Jean Lacasse à l'endroit de son contingent. « Tu aurais dû voir ça hier; c'était un véritable champ de bouette », me souligne-t-il. Le contremaître du chantier, Mahikans Diamond, relâche lentement une pierre d'au moins une centaine de kilos et s'essuie le front. « On a pas mal avancé aujourd'hui », dit ce technologue forestier d'origine crie. À ses côtés, son assistant Matthew Cleary, bilingue malgré ses racines américaines, esquisse un sourire de satisfaction en soufflant un peu. En retrait dans la broussaille, deux jeunes volontaires britanno-colombiens, issus de l'organisation Katimavik, complètent l'écorçage et le halage d'une lourde bille de bois qui servira à terminer un escalier en talus, avant de venir nous saluer à leur tour. Notre visite permet de constater qu'un passage d'à peine une quinzaine de mètres, qui seront parcourus en une poignée de secondes par le randonneur insouciant, peut nécessiter quelques jours de labeur à une équipe bien formée. Cette prise de conscience change soudainement l'appréciation que l'on a de cette « simple » activité de plein air.
Avant même de construire un sentier, il faut considérer les raisons, les enjeux et la pertinence de faire le tracé. Pour qui veut-on créer cet accès récréatif à un environnement naturel? Un randonneur à pied, en vélo, à ski, en raquette? Y a-t-il un intérêt particulier (géologique, faunique, botanique, géographique, hydrologique) à découvrir sur ce territoire pour le randonneur? Quels peuvent être les impacts d'un tel accès sur l'écologie? Raisonnables ou trop risqués? Tous ces aspects seront comptabilisés sur une grille d'analyse pour déterminer si le projet ira ou non de l'avant. La planification devra ensuite tenir compte de l'évolution de la pratique même de la randonnée pédestre. On dénote qu'avec les changements démographiques, mais aussi sociologiques, le randonneur type a moins de temps disponible ou préfère axer son activité sur la contemplation plutôt que sur le défi. D'une manière ou d'une autre, cela se traduit par une demande pour des itinéraires plus courts et moins techniques.
À partir du moment où l'on donne le feu vert à un projet de sentier, le processus de mise en œuvre se normalise selon une recette reconnue, tout en gardant en tête trois principes directeurs : impact minimal sur le territoire, attrait pour l'usager et sécurité de l'usager. En accord avec les points d'intérêt identifiés, un premier dessin sur carte du corridor visé précède les multiples examens à pied sur le terrain par le concepteur, souvent en compagnie d'un biologiste ou d'un géomaticien. Dès la pose des premiers drapeaux de repérage et les marches répétitives du tracé potentiel, l'éventuelle personnalité du sentier commence à prendre forme et se précise avec le débroussaillage initial. Entrent alors en scène les travailleurs (plus ou moins) spécialisés et des outils mécaniques. Le gestionnaire doit être vigilant de la sécurité sur le chantier : « Tu ne mets pas une débroussailleuse ou une tronçonneuse entre les mains de n'importe qui! Ce n'est pas pour rien qu'il existe des cours précis sur le maniement de ces engins », insiste Jean Lacasse, qui ne lésine sur la formation de ses équipiers, qu'importe leur expérience. Sur un sentier, il faut éliminer les arbres qui ne sont pas sains ou qui peuvent constituer un danger. Certaines tâches précises, comme l'émondage ou l'abattage, sont laissées à des gens certifiés.
Après coup, on peut se pencher sur les points et passages qui demandent plus d'attention (traversée de ruisseau, passerelle en milieu humide, montée en lacet, aménagement de points de vue, etc.), toujours selon les normes reconnues et répertoriées dans les ouvrages techniques —notamment ceux de la Fédération québécoise de la marche (FQM), qui propose même depuis 2009 un programme de certification des sentiers. Pour l'instant, l'initiative est confinée aux lieux de randonnée privés, mais pourrait un jour être appliquée aux infrastructures de nos parcs nationaux.
Reste le dernier aspect crucial de l'aménagement : l'entretien. Un sentier constitue avant tout une infrastructure « vivante » qui, sans entretien, peut rapidement se détériorer et perdre de son intérêt pour les randonneurs. S'il est certain qu’une conception bien pensée, une planification et une construction efficaces permettront de réduire l’entretien nécessaire, prendre soin des sentiers demeure primordial pour que la nature s’intègre harmonieusement. C'est là l'objectif de n'importe quel développement durable.
Encore plus
Réserve naturelle des Montagnes-Vertes : rnmv.ca
Réseaux certifiés FQM : fqmarche.qc.ca/certification.asp