10 choses que j’ai apprises en marchant 40 jours dans le bois
Je n’avais jamais randonné plus de trois jours d’affilée avant de me mesurer aux 650 kilomètres du Sentier international des Appalaches, qui se tortillent entre Matapédia et Cap Gaspé, en Gaspésie. Rien de mieux qu’une bonne dose d’inconnu pour se shaker l’en-dedans à grands coups de dehors, que je me suis dit. Pour apprendre sur le tas et réaliser qu’en marge de ma vie confortable, il est possible de rencontrer le bonheur, le vrai, dans une foutue paire de bas propres.
Sans avoir changé ma vie, le sentier m’a sacré quelques bonnes claques dans la face. J’y puise encore une grande force quand le quotidien me déstabilise et que j’ai besoin de me replacer sur le bon chemin… un pas à la fois.
1. Le monde n’arrête pas de tourner
Travail, famille, budget, santé... La liste des raisons d’abandonner un tel projet est longue alors qu’il suffit souvent d’être inventif, de bien planifier et de se bouger les fesses. Pendant que je suais ma vie en avançant à 3 km/h, le monde a survécu à mon absence, sans même ralentir. Il s’est adapté. C’est à la fois troublant et rassurant de réaliser qu’au fond, le monde n’a pas absolument besoin de nous. Qu’il suffit d’oser.
2. Les péteux de bulles
© Anne Marie Brassard
Ils ont quelques affinités avec les péteux de broue, qui savent tout, incluant ce qu’il faut faire ou ne pas faire dans la vie. Les péteux de bulles ne sont pas méchants, ils veulent notre bien. Mais je préfère les ignorer. J’ai la chance d’avoir des proches qui ne comprennent pas toujours mes idées farfelues, mais qui m’encouragent à les réaliser. Je prends leurs bons conseils et laisse les « oui, mais » des autres loin derrière.
3. Préparation vs improvisation
Il y a autant de manières de marcher les 650 km du SIA qu’il y a de randonneurs, mais je vous confirme que le gars parti avec une patate crue et un sac de bagels humides n’a pas fait long feu. Sans faire de zèle, une bonne préparation pour un défi du genre augmente clairement les chances de réussite.
J’allais régulièrement marcher avec des dictionnaires dans mon sac à dos pour m’entrainer, j’ai passé des heures à peser les pour et les contre de tel ou tel morceau d’équipement et à étudier les cartes du sentier. Pour moi, la préparation est aussi intéressante que l’aventure elle-même. Elle donne un outil précieux : la confiance.
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4. Accepter l’inconnu
© Anne Marie Brassard
Je ne pouvais pas prévoir qu’il mouillerait les 20 premiers jours de la randonnée, que mes bottes « imperméables » prendraient l’eau après 30 minutes et que j’allais me taper une mini crise d’angoisse le matin du mont Nicol-Albert. Bien se préparer est une chose, mais accepter qu’on ne contrôle pas tout en est une autre.
Aujourd’hui, quand l’inconnu me stresse, je me rappelle que c’est en mettant un pied devant l’autre que j’avance vers mes objectifs. Tout simplement. Pas en sautant des étapes, en m’imaginant tout un tas de scénarios catastrophiques et en refusant de m’adapter aux changements.
5. Se fixer de petits objectifs
Le prochain ruisseau pour se ravitailler, le point de vue qui s’en vient, la fameuse pause chocolat. Découper 650 km de sentier en petits moments gratifiants est fabuleux pour la santé mentale, croyez-moi. Ça m’a permis de relativiser le fait que je marchais de 6 à 8 heures chaque jour, avec un sac de 35 livres sur le dos… pour le plaisir. J’applique cette méthode au quotidien depuis, quand tout parait trop gros, trop imposant et que ma motivation a besoin d’un petit coup de pouce.
6. Le piège de la comparaison
© Gabrielle Desmarchais
Qu’il est facile (et inutile) de se comparer aux autres. J’ai vite compris qu’il y aura toujours un randonneur plus rapide que moi, mieux préparé, avec un équipement plus sophistiqué, plus cher, plus toute. Et alors? Ce n’est pas une compétition. J’ai marché le sentier en 40 jours alors que d’autres le font en 30. Est-ce que ça m’enlève quelque chose? Au contraire. J’ai fait la rencontre de gens inspirants tout au long du sentier et compris qu’on apprend bien plus des autres en s’ouvrant à eux qu’en se comparant.
7. La stratégie des bons souvenirs
Le Sentier international des Appalaches est une montagne russe d’émotions. Certaines journées semblent interminables, il pleut, les moustiques font le party autour de toi, tes pieds déclarent forfait et tu réalises qu’il te reste dix beaux gros kilomètres avant le prochain refuge. Joie! Dans ces moments-là, j’allais fouiner dans le tiroir à bons souvenirs de mon cerveau pour réfléchir à des moments heureux, des visages familiers, des évènements marquants. Tout y passait dans les moindres détails. Très efficace pour s’occuper l’esprit lors des journées moins glorieuses.
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8. Hommage aux petites choses
© Anne Marie Brassard
C’est fou ce qu’un fruit frais, une douche chaude ou des bas propres peuvent avoir comme effet lorsque notre confort se résume à une poignée d’objets entassés dans un sac. Tout ce qu’on tient pour acquis au quotidien prend instantanément de la valeur. Chaque fois que je reviens de voyage, je réalise qu’apprécier les petites choses est un état d’esprit qui se perd facilement dans le luxe de nos vies douillettes. C’est pourquoi je ressens souvent le besoin de faire un grand ménage de tous les objets inutiles qui encombrent ma vie et de toutes les pensées négatives qui me polluent. Ça m’aide à revenir à l’essentiel.
9. Librement sale
Au risque de paraitre étrange, je me sens libérée des contraintes du monde normal quand je peux me permettre d’être crottée et de m’en foutre. La nature permet cette latitude inédite, ce retour en enfance. Personne ne s’étonne qu’un randonneur n’ait pas pris de douche pendant plusieurs jours, qu’il soit ébouriffé, dépareillé et un brin odorant. Les règles changent en forêt, en voyage, en rando. C’est l’endroit où je me sens le plus moi-même, loin des jugements, des modes et des normes. Si cela vous intéresse, je vous invite à lire ce court article que j’ai écrit sur Les joies d’être crotté(e). Vive la bouette!
10. Éloge de la lenteur
Prendre son temps est un luxe. Un art, même. Certains arrivent à le faire naturellement, à observer, à contempler. Je les envie vraiment. Même en randonnée, j’ai du mal à ralentir le pas. Je vais rapidement du point A au point B, je suis efficace quand je range mon équipement, je ne m’attarde pas trop même si je sais apprécier le moment. C’est ma manière d’être. Et je me dis qu’heureusement, il me reste encore beaucoup de choses à apprendre au fil de mes randonnées.