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  • Expédition au Groenland © Sarah Gosselin

Groenland : pagayer et randonner au pays des icebergs

Se dépasser pour soi, c’est bien; le faire pour les autres, c’est encore mieux. Partie dans le cadre d’une expédition caritative pour Opération Enfant Soleil, notre collaboratrice a finalement vécu les deux scénarios au Groenland. Récit.

Dès qu’on y débarque, le Groenland déconcerte, avec ses allures de bout du monde. Campée dans ses parallèles nord, cette terre du Danemark, pays des extrêmes, est la plus grande île la moins peuplée du monde.
 
Même si elle joue dans la cour du Cercle polaire, sa végétation verdoyante nargue les neiges éternelles en été. Et c’est lors de cette belle saison que le soleil de minuit succède aux nuits polaires sans fin de l’hiver. Les beautés du Groenland se bercent alors dans les contrastes.
 
Je me revois, un an plus tôt, officialiser mon engagement à ce groupe d’expédition se dévouant à Opération Enfant Soleil. Une année à me préparer, à m’entraîner, à récolter de l’argent pour la cause et à compter à rebours les jours qui me séparent du moment où je poserais les pieds dans ce pays que j’avais toujours trouvé trop loin, trop extrême… Trop tout, en fait.
 
Et maintenant, j’y suis, au début d’une aventure de 77 km en kayak de mer et d’une quarantaine de kilomètres en randonnée hors sentier. Une expédition qui me mènera à ne plus voir la nuit pendant 14 jours, à déjouer la banquise et les icebergs, à frôler la calotte glaciaire comme une guerrière  du Nord et à marcher sur un glacier, sans crampons ni piolet.

© Michelle Pinsonneault

C’est à partir de l’Islande que notre groupe a d’abord atteint l’est du Groenland par Kulusuk. Ce village nordique d’à peine 300 habitants est teinté de petites habitations aux coloris flamboyants, est piqué de fleurs nordiques et de bouleaux nains. On s’étonne de voir autant d’éclat dans un pays qui est recouvert à plus de 80 % par un inlandsis, titanesque glacier qui couvre ici près de 1 726 000 km2.
 
Au cœur de cette partie reculée du Groenland, séparée de l’Ouest par cette colossale masse de glace, la plupart des habitants n’ont ni eau courante ni électricité, et il n’existe pas de réseau routier. Dans un silence qui détonne, Kulusuk est splendidement rustique, quasi intact. Tout se fait à pied, ou presque, y compris le trajet de l’aéroport jusqu’au village, point de départ de notre expédition en kayak.


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De l’euphorie au doute

© Michelle Pinsonneault

De la baie de Kulusuk, les premiers coups de pagaie sont euphorisants. Rapidement, nous sommes encerclés par des packs, les glaces libérées par la banquise, qui nous obligent à repenser notre départ et à porter nos kayaks pour rejoindre la mer, puis à nous faufiler vers le nord-ouest, jusqu’à l’entrée du fjord Angmassalik. Notre plan est d’accoster sans ravitaillement, d’ici cinq jours, sur les glaciers de Karale.
 
Au premier campement de la plage de Qittattit, entre deux bouchées lyophilisées, je doute déjà de mon potentiel aventurier. Nous avons passé une grande partie de la journée les deux pieds dans l’eau glaciale de la mer du Groenland à soulever des kayaks, marée basse oblige. Sans même avoir pagayé pour le tiers de ce que nous avions envisagé, mes mains, mes épaules et mon dos s’avouent déjà vaincus.
 
Il faut dire qu’avant le Groenland, je n’avais fait du kayak qu’une seule fois dans ma vie. Pour la cause, je n’ai cessé de me répéter que partir en expé de kayak sans expérience n’était rien en comparaison des épreuves que peut vivre un enfant touché par la maladie. Ce soir-là, je conclus qu’avoir des doutes est un luxe que je ne peux pas me permettre. Dorénavant, il n’y aurait que l’ici et le maintenant. Au même moment, j’aperçois la banquise valser au loin, sous les rayons du soleil de minuit. Le Groenland serait sensass, qu’importe ce que mon corps aurait à en dire.


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Cap sur le nord

© JF Hagenmuller

Plus les journées avancent, plus nous progressons vers le nord. Le quotidien en mer est fait de petites et de grandes victoires : réussir à dompter son embarcation dans les glaces, garder la cadence malgré les ampoules qui s’invitent dans l’aventure, prendre la meilleure photo d’iceberg sans arrêter de pagayer, ou simplement trouver l’harmonie avec son partenaire de kayak dans un espace où chaque millimètre est occupé. Mais les récompenses sont souvent au rendez-vous.
 
Ainsi, dans le fjord Angmassalik, il n’est pas rare d’apercevoir des baleines à bosse. Au site de chasse inuit de Noorajik, une petite famille de ces grands cétacés nous salue justement au passage; au loin, pendant un bon moment, le son de nos coups de pagaie est entrecoupé par le chant de leur souffle.
 
Mais le plus extraordinaire, dans cette aventure, est que la mer du Groenland a cette façon de nous émerveiller une seconde, et de nous bouleverser dès la suivante. Comme ces icebergs qu’on admire un instant, puis qui se fracassent, fendent l’air et basculent devant le groupe. Le grondement qui précède le tonnerre du renversement résonne de bonnes minutes en nous.
 
Bien que chaque jour de kayak implique jusqu’à sept heures de sortie, la dernière journée est plus qu’éprouvante, et les conditions météorologiques nous forceront à atteindre notre objectif avec une journée de moins que prévu. Les derniers kilomètres tenaillent mes muscles endoloris, et le vent de face ne facilite rien. Je dois puiser dans le peu qui me reste de volonté pour contrecarrer la fatigue. Mais dès notre arrivée dans le fjord de Sermiligaaq, elle est sitôt évacuée…
 
Aux glaciers de Karale, nous stoppons net notre progression. Trois immenses mammouths de glace nous enlacent, comme une haie d’honneur dressée devant nous pour souligner tout le chemin parcouru depuis Kulusuk. Notre récompense.
 
Ce soir-là, je me suis endormie bercée par la fierté, prête à chausser mes bottes dès le lendemain pour randonner sur cette terre pour laquelle nous avions consacré tant de coups de pagaie.

La randonnée des glaciers

© Michelle Pinsonneault

Aussitôt sur la terre ferme, nous troquons les pagaies pour les bâtons de marche pour nous attaquer au relief de l’est du Groenland, sculpté par les plus hauts sommets du pays. Notre défi en trek est fixé en quatre étapes, qui trouvent toute leur splendeur dans de bons dénivelés (600 à 700 mètres), une absence de sentiers, des fjords escarpés, de hautes parois de granit et… des glaciers!
 
En direction de la vallée glaciaire de Nunartivaq, notre initiation au trek arctique s’amorce par une sacrée montée. La difficulté ne tient pas tant au dénivelé qu’à la présence de moraine et de rocs instables, aux épais tapis de mousse et aux arbustes nains. Par chance, notre progression est facilitée par un ravitaillement quotidien : pas de grosses charges à porter, donc. Sur la crête, sans sentiers ni arbres pour nous appuyer, nous devons prendre le temps de bien poser nos pieds pour accéder au col de la vallée et à son point de vue incroyable.


La randonnée vers le fjord d’Ikateq nous amène à revisiter notre itinéraire en mer, où chaque foulée présente un point de vue différent sur ce que nous avions contemplé en kayak. On découvre des plages, des collines fleuries, des sommets aux galets si orangés qu’on se croirait sur Mars — avec des icebergs en trame de fond —, mais aussi une ancienne base militaire américaine, la Bluie East Two d’Ikateq.

En kayak, nous n’avions effleuré qu’un versant de ce site historique; le trek nous mènerait tout droit dans ses quartiers névralgiques, où nous ferions bivouac. Depuis 1947, des centaines de barils, des voitures et des bâtiments y sont laissés à l’abandon. L’endroit est aussi déstabilisant qu’impressionnant à voir, alors imaginez y passer la nuit…

Des monts au delta

© Michelle Pinsonneault

La randonnée du fjord d’Ikateq laisse derrière nous les dénivelés pour nous faire prendre contact avec les rivières. Pour gagner le troisième campement, dans la vallée de Tunup Kua, nous devons rejoindre le large delta de la baie de Tuno et ses mémorables traverses. Une journée presque entière à nous amuser à franchir des torrents d’eau extrêmement froide et à batailler avec de forts courants, parfois de l’eau jusqu’aux hanches.

Pour la randonnée, nous ne pouvions demander mieux comme tableau final : l’ascension d’un glacier, rien que pour nous. En style libre, sans crampons, nous marchons agilement pour éviter crevasses et fissures. Sécuritairement, les guides nous conduisent au sommet tout en nous donnant le temps de profiter de ce terrain de jeu extraordinaire.
C’est là que j’ai ressenti un léger vertige. J’ai pensé à tout ce qui se trouvait sous mes pieds, autant d’histoire que de profondeur, et à tout le chemin parcouru pour y arriver. Nous avions réussi. Nous avions pagayé et marché au Groenland. Nous avions habité une infime partie de l’Arctique.

Je me suis alors dit qu’à force de volonté et de conviction, c’est magnifique de voir tout ce qu’il est possible d’accomplir, encore plus dans le cadre d’une expédition en solidarité avec les enfants malades. Merci à mes partenaires d’aventure et à nos guides, Marie-Josée et Bernard : non seulement vous avez fait de cette expédition un voyage épique, mais vous m’avez appris qu’il fait bon se sentir petit devant autant d’immensité.


Bon à savoir

© Sarah Gosselin

Ce voyage s’adresse aux débutants comme aux plus avancés. Il était organisé par Karavaniers, qui offre des séjours en kayak et en randonnée au Groenland.

L’été au Groenland, le jour est éternel! Le soleil de minuit s’étire de juin à août environ et, durant cette période, il fait toujours clair à 23 h. Les températures sont alors clémentes (de 5° à 15 °C), et il faut des vêtements pour toutes les conditions. Puisqu’il n’y a pas d’arbres, il est difficile d’allumer un feu en soirée pour se réchauffer…

La gestion de l’eau est très simple. Chaque campement est choisi en fonction des sources naturelles d’eau douce, délicieusement fraîche, car elle provient directement des glaciers — inutile, donc, de la traiter. Ces mêmes sources servent aussi de bain pour les courageux qui désirent se laver.

Les kayaks utilisés sont des embarcations inchavirables en bois pliable, et les risques de se retrouver à l’eau sont pratiquement nuls.

Les banquises groenlandaises attirent parfois les ours polaires. Avant le départ, les guides (armés) expliquent comment se comporter advenant une rencontre inattendue.

Les Groenlandais, essentiellement des Inuits, vivent toujours du produit de la chasse et de la pêche. Dès les premiers instants, nous sommes en contact avec ce mode de vie : peaux qui sèchent à l’air libre, restes de phoque ou de poisson dont les chiens se régalent…

Au début ou à la fin de l’expédition, une petite visite guidée de Kulusuk est offerte. Un réel contact avec la communauté! On nous fait notamment découvrir la chapelle, l’école et le musée où se raconte le Groenland, d’hier à aujourd’hui.

Enfin, c’est au Groenland que vous trouverez les toilettes avec les plus beaux points de vue du monde. De majestueux moments. Je vous laisse deviner pourquoi!

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