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Cauchemar sur le mont Washington

En septembre 2006, une simple escapade au mont Washington a rapidement viré au cauchemar pour quatre amis.

Le mont Washington n’est pas le mont Saint-Hilaire. Ils le savaient, ils le savaient même très bien. Mais rien ne laissait présager ce qui allait arriver. La journée s’annonçait superbe. Une grosse boule rouge scintillait dans un ciel totalement dégagé au-dessus de la vallée du Richelieu qui s’éveillait tranquillement. Un climat d’automne aux allures d’été qui semblait idéal pour une excursion en montagne. Guillaume Demers, Maxime Ladouceur, Adrien Gauthier et Gabriel Gauthier, quatre copains friands de plein air et de montagne choisissent de se payer « la totale » au mont Washington, le plus haut sommet du Nord-Est américain (1917 m).

L'ascension rêvée

Au menu : escapade au sommet étalée sur deux jours, gueuleton aux grands vents en regardant l’horizon et coucher dans un refuge prévu à cet effet. Ils en salivent déjà lorsqu’ils partent pour le New Hampshire. « Le temps était magnifique », se rappelle Guillaume. « Les prévisions météorologiques s’annonçaient clémentes et agréables pour les prochains jours. Des conditions parfaites pour notre projet de randonnée. »

Il est à peine passé midi lorsque le petit groupe part à l’assaut de la montagne. Les quatre Québécois choisissent de s’engager sur le sentier Huntingdon Ravine, réputé comme étant l’un des plus exigeants physiquement. C’est aussi le moins long et celui qui se rend le plus directement au sommet. Ils prévoient que la montée prendra cinq heures pour atteindre le point culminant de la montagne. Un rythme qui leur donnerait suffisamment de temps pour amorcer la descente avant la noirceur. « L’objectif était de redescendre à la brunante par un autre sentier, plus long et moins accentué où l’on trouverait un abri pour la nuit. Nous avions tout planifié et nous étions prêts! » explique Guillaume. 


À lire également : Le sentier Huntington Ravine , plaisirs et vertiges 


Complications à l'horizon

Les premières heures passent agréablement. Le paysage lointain rapetisse à mesure que le groupe gagne en altitude. L’air est bon et frais, le sentiment de liberté est plaisant. Mais cette montagne où les vents les plus violents sur terre ont été enregistrés (372 km/h) réserve parfois des surprises. L’ascension commence lentement à se faire plus difficile. La motivation est toujours présente, mais Gabriel peine à avancer. Le groupe choisit de s’arrêter plus fréquemment pour lui permettre de récupérer un peu. Est-ce l’altitude? Un simple manque d’énergie? Il est vrai qu’ils ont mangé un peu à la « va-vite » avant de commencer la randonnée, mais ils ont des collations et de l’eau avec eux, ça devrait aller. Mais l’état de Gabriel ne s’améliore pas, il semble même se détériorer. Ses copains commencent à s’inquiéter. Malgré les nombreux arrêts, Gabriel pâlit à vue d’œil. Les signes sont loin d’être encourageants.

« Il buvait beaucoup d’eau et ne semblait pas déshydraté, mais il n’allait vraiment pas bien », confie Guillaume. « Il a vomi à quelques reprises et nous savions que quelque chose n’allait pas, ce n’était pas qu’un manque d’énergie. Nous lui parlions et ses réponses prenaient du temps à venir, il semblait à peine lucide par moment. Il fallait l’aider à se relever pour qu’il fasse quelques pas. Il essayait de marcher, mais ça semblait très difficile. Nous n’étions pas si loin du sommet et les nuages et la bruine se faisaient plus épais. Puis, une petite neige a lentement commencé à tomber et la température a rapidement diminué de plusieurs degrés. Nous avions un réel problème et on se demandait ce qui se passait, ce que nous allions pouvoir faire. »

Crédit: Danny Warren, iStock

Une montagne à la météo changeante

Le mont Washington n’est pas un endroit comme les autres. Le climat sur cette montagne est très instable. Le bel avant-midi d’automne du départ avait fait place à un enfer glacial et mouillé en quelques heures. Rapidement, le climat montagneux prenait le dessus : le vent gagnait en force, et la neige se transformait en grêle. « Nous avons appris le lendemain que les vents avaient soufflé à environ 100 km/h. Ça a l’air banal, mais ça ne l’est vraiment pas! Les bourrasques nous déplaçaient littéralement, c’était effrayant. Nous devions tous nous agripper pour ne pas tomber. Nos lampes frontales nous permettaient de voir à seulement trois mètres et Gabriel ne répondait plus. Nous devions le porter pour le sortir de là. Le soleil avait disparu d’un coup et il faisait noir. Avec le vent déchaîné et la grêle qui nous fouettaient le visage, nous pouvions à peine communiquer entre nous, même en criant à pleins poumons. Nous ne voyions rien, absolument rien. C’était un vrai cauchemar, mais nous savions que c’était bien réel. Nous réalisions que nos vies étaient en danger. »

Agir, et vite

Ils savent qu’ils ne peuvent rester là immobiles. Il leur faut trouver quelque chose pour se protéger. Avançant à tâtons, lentement et à l’aveuglette, ils aboutissent finalement sur une route asphaltée, celle qui relie la station météo du sommet à la civilisation, plus bas. Il était temps. Gabriel est toujours inerte et complètement gelé. Il respire à peine et ne réagit à rien. Aucun mouvement. Ce qui fait craindre le pire à ses partenaires impuissants.

Ils s’arrêtent en bordure de la route et couvrent le jeune homme avec tout ce qu’ils ont sous la main. Ses vêtements sont complètement givrés, il lui faut de la chaleur et un abri, l’heure est grave. Maxime décide de partir en éclaireur à la recherche d’un refuge, un endroit où trouver sécurité et répit. Les secondes ressemblent à des minutes. Le temps s’arrête. Après 20 minutes qui ont paru une éternité, Maxime revient essoufflé et dit avoir trouvé quelques bâtiments plus hauts sur la route. Guillaume s’en souvient très bien.

« Nous avions maintenant un objectif à atteindre et il fallait faire vite. Nous étions deux personnes à porter Gabriel, nous n’allions pas le perdre là. Mais nous étions vidés et abattus. Nos genoux pliaient, nous étions au bout de nos forces. Ça semblait impossible à réaliser. Les yeux de Gabriel viraient à l’envers, son pouls était très faible et il était inconscient. Maxime est reparti plus haut voir si quelqu’un pouvait venir nous aider. »

Lueur d'espoir

En remontant la route sinueuse, Maxime remarque une automobile garée en bordure de route. La porte du côté conducteur est déverrouillée et le jeune homme s’installe, prêt à tout pour faire décoller le bolide. Comme dans un film hollywoodien, les clés glissent du pare-soleil et lui permettent de démarrer pour aller chercher ses amis restés plus bas. Ce véhicule offre un premier sentiment de sécurité, une lueur d’espoir qui les poussent à croire qu’ils vont s’en sortir. La voiture permet d’atteindre facilement la boutique située au sommet, le seul abri possible pour le moment. Tout est barré et l’endroit est désert. Ils font voler en éclat un carreau de la porte et se précipitent à l’intérieur. Ils dépouillent rapidement Gabriel de ses vêtements glacés. Ils le recouvrent de chandails promotionnels à l’effigie du mont Washington, de « couvertures souvenir » et de tout ce qui peut apporter de la chaleur à son corps frigorifié. Adrien, le frère de Gabriel, retire lui aussi ses vêtements et se couche « en cuillère » pour lui procurer le maximum de chaleur. Les trois jeunes hommes espèrent qu’il n’est pas trop tard et qu’il passera au travers. Mais ses signes vitaux sont presque inexistants : il n’a qu’une faible respiration et un pouls dramatiquement bas.

Un téléphone est visible dans une pièce adjacente, elle aussi fermée à clef. Bling! Une autre fenêtre vole en éclats pour la cause. Les services d’urgence sont contactés et deux personnes dans la station météo du sommet vont venir leur porter secours. « Nous étions euphoriques à leur arrivée quelques minutes plus tard », se rappelle Guillaume. « Enfin des visages humains, des gens qui allaient pouvoir nous aider à mettre un terme à cette dramatique aventure. En même temps, on se sentait tous un peu bizarre face à eux. Nous ignorions ce qu’ils allaient penser ou dire de nous. Nous venions de voler une voiture, nous avions défoncé porte et fenêtres pour contacter le monde extérieur et se protéger. Mais avec nos vies dans la balance, le choix s’est fait sans hésitation, il n’y a pas une porte qui aurait pu nous arrêter. Les émotions étaient vives et intenses, c’était un énorme « rush » d’adrénaline. Énorme! C’est difficile à décrire... »

À cause du mauvais temps, l’ambulance ne peut faire l’ascension de la montagne pour venir les chercher. C’est donc à bord du camion de la station météorologique que tous redescendent lentement. Gabriel s’engouffre dans le véhicule d’urgence qui attendait son arrivée. Il est en vie, mais il est mal en point. Les premiers soins sont à nouveau prodigués. On lui administre de l’oxygène pendant qu’ils roulent vers l’hôpital le plus proche situé à Berlin, quelque 30 minutes au nord du mont Washington. Au centre hospitalier, les trois amis apprennent avec horreur que Gabriel a souffert d’hypothermie sévère et que son cerveau a cessé de fonctionner. Il est dans le coma et nécessite des soins spécialisés. Il est transféré au Elliot Hospital de Manchester pour y être traité et subir des tests plus poussés. On ignore s’il s’en sortira.

Abattus, sous le choc et complètement à plat, Adrien, Guillaume et Maxime s’accordent quelques heures de repos avant de prendre la direction du Québec pour informer la famille de la tragédie. Au moment de repartir, ils apprennent que la montagne est fermée pour la journée. Une épaisse couche de glace recouvre le sommet et rend dangereuse toute excursion. La capricieuse montagne vient de faire une victime de plus et les autorités ne veulent prendre aucun risque. « En entendant ça, nous avons compris que nous étions sortis juste à temps de cet enfer. La nature nous est tombée dessus et nous aurions pu y rester! » relate Guillaume.

Crédit: Guillaume Demers

Dénouement heureux

Revenus à Beloeil, ils se rendent au domicile des deux frères. La mère de Gabriel n’a pu être jointe plus tôt et la nouvelle l’assomme. Atterrée, désemparée et inquiète comme seule une mère peut l’être, elle part rapidement avec le père de Gabriel pour se rendre au chevet de son fils. Adrien refait également le voyage. « De tout ce que nous avons vécu, ces quelques minutes ont été les plus éprouvantes pour le groupe. Informer une mère que son fils est dans le coma, dans un autre pays, lui dire qu’on ignore s’il survivra, c’était affreux. Les sentiments d’impuissance et de honte s’entremêlaient d’une façon tordue, et nous ignorions quoi d’autre ajouter », explique Guillaume.

Il faudra quelques jours avant que Gabriel sorte du coma et qu’il reconnaisse les gens à son chevet, qu’il prenne tranquillement du mieux et réussisse à baragouiner quelques mots. « Vous faites bien ça, continuez! » lance-t-il à son entourage heureux de l’entendre rigoler ainsi après des jours d’angoisse. « Nous aurions pu y passer tous les quatre », indique Guillaume le plus sérieusement du monde, le regard clair et vif. « Mais dans nos têtes, malgré les embûches et les intempéries, c’était clair que nous allions nous en sortir, trouver un moyen de sortir de là. Il n’était pas question de mourir là. Nous aurions traîné Gabriel jusqu’au ciel s’il l’avait fallu, jusqu’à ce qu’on tombe nous aussi, on ne pouvait pas l’abandonner. Si Maxime n’avait pas trouvé le véhicule, je pense que nous aurions perdu Gabriel. Je le pense vraiment. Je me demande parfois ce qui serait arrivé ensuite. Il y avait un ange là-haut qui veillait sur nous. Quelque chose est intervenu pour qu’on arrive à s’en sortir vivants et en bonne santé. »

Certains journaux du New Hampshire ont fait état de quatre « Crazy Canucks » peu préparés, vêtus de tenues estivales pour gravir la dangereuse montagne. Aux dires de Guillaume, ce n’est qu’un paquet de mensonges : « C’est totalement faux! Nous avions des pantalons et des chandails longs, des vêtements qu’on met pour aller skier. Nos sacs à dos étaient bourrés à pleine capacité avec tout le nécessaire. Nous transportions des tapis pour dormir, des sacs de couchage, des ponchos, des imperméables et des manteaux, des lampes frontales, de la nourriture et de l’eau en quantité suffisante, nous avions tout ce qu’il fallait. Nous étions bien préparés pour la randonnée, mais pas assez pour transporter un corps d’adulte pendant des heures, perdus à la noirceur dans un environnement hostile. La nature s’était déchaînée et il n’y a rien que nous aurions pu faire contre ça! »

Gabriel s’est complètement remis de l’aventure. Il a repris une vie normale et fait encore de l’escalade avec ses copains. Mais le jeune homme n’avait pas d’assurances… une erreur coûteuse! Pour six jours passés aux soins intensifs, pour le transport en ambulance et les dommages causés au bâtiment du sommet de la montagne, les autorités lui ont réclamé la somme de 80 000 $. Et les soins médicaux aux États-Unis, ça coûte cher, très cher! Même si le montant a été réduit, il a été forcé de déclarer une faillite personnelle pour se sortir du bourbier. Les quatre jeunes hommes ont tiré de nombreuses leçons de cette randonnée périlleuse. Ils se rappelleront tous cette journée, laquelle s’annonçait magnifique, mais qui s’est rapidement transformée en cauchemar.

Encore plus…
Mont Washington

Le mont Washington est une montagne grandiose, mais également meurtrière. Des pancartes avisent les visiteurs (plus de 250 000 chaque année) de ne jamais sous-estimer le danger : depuis 1849, près de 150 décès ont été répertoriés. Sommet le plus élevé du Nord-Est américain, il est entouré par quatre autres gigantesques montagnes qui font du mont Washington le point culminant de trois courants climatiques, ce qui explique l’instabilité de son climat. Les tempêtes y sont courantes et elles se déclenchent sans préavis. La température peut descendre jusqu’à ‑ 44 °C. Attraction prisée des amateurs de grand air, le mont Washington demeure un endroit dangereux pour quiconque n’est pas bien préparé à l’affronter.


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Commentaires (5)
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damams007 - 28/09/2017 21:02
La montagne comme la mer..C'est non négociable. Un guide reste la première réflexion à avoir. S'équiper c'est bien..Etre bien formé, c'est mieux..
damams007 - 28/09/2017 21:01
La montagne comme la mer..C'est non négociable. Un guide reste la première réflexion à avoir. S'équiper c'est bien..Etre bien formé, c'est mieux..
Drobert1 - 02/08/2017 18:40
Durant ma descente par lion's head, j'ai croisé deux américaines en "gougounes"! J'en reviens pas qu'il n'y ait pas un gardien à l'entrée du sentier! C'est dangereux de gravir cette montagne!
Yodabee - 01/08/2017 15:50
Pas chanceux ! Je l'ai "grimpé" deux fois dont une fois par la Huntingdon Ravine trail.