40 jours sur le Sentier international des Appalaches
L’été dernier, notre collaboratrice a complété dans sa totalité le SIA, désormais aussi connu sous le nom du GR®A1, premier itinéraire de Grande Randonnée en Amérique du Nord. Compte-rendu.
Depuis des heures, le vent s’engouffrait dans l’anse en hurlant, torturant ma tente qui se contorsionnait à l’extrême. Assise au milieu de mon minuscule abri, je priais n’importe quel Dieu pour qu’il épargne la mince toile qui me servait de refuge.
Je me revoyais des semaines plus tôt, dans un énième magasin de plein air, choisir méticuleusement chaque élément qui allait faire partie de ma vie pendant les 40 jours qu’il me faudrait pour marcher le Sentier international des Appalaches (SIA). Gamelle compacte, nourriture lyophilisée, tente ultra-légère : mon univers pesait 35 livres et mesurait 650 km de long. Il était d’une simplicité désarmante. J’allais apprendre à l’aimer et à le détester dans la même seconde.
Je n’avais jamais entendu parler de ce sentier qui traverse la Gaspésie avant qu’il ne soit reconnu comme le premier itinéraire de Grande Randonnée en Amérique du Nord (GR®A1), en 2015.
L’idée farfelue de marcher pendant des semaines pour relier Matapédia à Cap-Gaspé, de gravir des montagnes qui baignent dans les nuages et de vivre dans la marge m’avait séduite. J’avais envie de me la jouer exploratrice, de planifier mon itinéraire à partir de cartes topographiques, de me poster de la nourriture dans les étapes plus éloignées.
J’avais aussi besoin de ralentir, d’aller jouer dans le bois, d’avoir les ongles crottés et de m’en foutre. Je voulais puiser mon eau à même les rivières, me faire fouetter par le vent, vivre avec l’essentiel et marcher, marcher, marcher encore. Jusqu’à ce que mon corps claque, que la fatigue m’assomme et que la fierté me borde le soir venu.
L’extraordinaire épopée
Pour venir à bout du SIA, il faut parcourir six sections, toutes balisées et entretenues. Chacune possède sa propre personnalité, impose son propre rythme.
Au départ et pour une raison que j’ignore, je croyais que la Vallée de la Matapédia allait être une succession de champs bucoliques dans lesquels j’allais gambader en sifflotant du Harmonium. Grosse erreur.
Ici, les pentes sont raides, les ponts sont rares, la bouette fait sa loi un peu partout. C’est le genre de terrain de jeu qui te forge le caractère, qui m’a appris à accepter que rien n’est acquis sur ce sentier. Quand il pleut, il pleut. Quand tes pieds te font souffrir et que les moustiques te rendent fou, tu dois continuer à avancer.
Après cette épreuve vient la Réserve faunique de Matane : la section la plus difficile, la plus sauvage et la plus reculée du SIA. Face à elle, j’éprouvais un mélange d’admiration et d’appréhension. Je savais que je ne croiserais aucune civilisation avant au moins une semaine, que j’y passerais le premier cap des 1000 mètres et que je me mesurerais à l’un des plus importants dénivelés du Québec. Je me suis lancée dans des chutes, j’ai crié au loup, trébuché et eu peur. C’est sur ce territoire sublime et impitoyable que j’ai découvert ma propre force de caractère. Une force insoupçonnée et inébranlable.
Comparé à ce défi, le parc national de la Gaspésie m’est apparu comme un gros bonbon bien mérité, avec ses sommets couronnés de toundra alpine et ses sentiers moins escarpés. Je m’y revois exploser de joie sur le pic du Brûlé – point charnière qui marque la moitié du trajet –, sautiller sur les roches orangées dans la vallée spectaculaire du mont Albert et vibrer au sommet de l’étonnant mont Xalibu. Un pur délice.
Portée par cette énergie nouvelle, j’ai rejoint la mer et les sections de la Haute-Gaspésie et de la Côte-de-Gaspé. Enfin! Après des semaines dans le bois, je me sentais renaître à nouveau. Il y avait de la nourriture partout, des restaurants, de la crème glacée, des douches chaudes! Mais attention : le sentier n’offre pas de répit pour autant. Au contraire, il enchaîne des étapes plus longues et exténuantes qui demandent de puiser dans ses réserves de courage et d’énergie. Heureusement, camper au bord de la mer, admirer les rorquals et goûter à l’hospitalité des Gaspésiens sont de vrais baumes pour le cœur.
Quand j’ai finalement franchi l’entrée du parc Forillon après 37 jours de marche, il ne me restait que 45 km à faire pour rejoindre Cap-Gaspé et atteindre le bout du monde. Tout semblait plus léger, je flottais. Même l’abondance de touristes qui s’aspergeaient de chasse-moustique comme si leur vie en dépendait ne me dérangeait plus. C’était la fin, et c’en était toute une ! J’avais mérité de poser mon sac sur cette péninsule extraordinaire avec le sentiment du devoir accompli.
La vie sur le sentier
Le SIA est fait de petites et grandes choses imprévisibles. Il peut te faire exploser de bonheur et de rage en l’espace de quelques kilomètres, il peut te balancer un orage, une brume épaisse et un grand ciel bleu dans la même journée. Ici, c’est le soleil qui donne le ton. Les journées sont faites de marche, de discussions, de lecture et de solutions créatives pour faire sécher son linge. Chacun tient son journal de bord, fait état des kilomètres parcourus, consulte sa carte topographique et son guide de randonnée pour savoir de quoi demain sera fait.
Marcher, manger, dormir. Avoir les pieds mouillés. Rêver à des aliments frais ! Trouver de l’eau. Marcher, manger, dormir. Même s’il est parfois monotone, le sentier m’a appris que c’est dans la routine que les plus belles choses se révèlent. Dans toutes les petites victoires qui te donnent la force de continuer : traverser une rivière sans mouiller ses bottes, croiser un orignal, se baigner dans un lac, voir des étoiles filantes, manger une talle entière de framboises !
Chaque jour est à la fois fait d’inconnu et de familier, mais surtout, d’une dose magistrale de simplicité. Pas de téléphone, de cadran, d’agenda. Il n’y a que l’effort qui compte, la distance à parcourir jusqu’au prochain refuge, la bonne quantité de bouffe et d’eau pour tenir jusque là.
Il y a aussi, et surtout, toutes les rencontres fabuleuses et uniques qui donnent aux voyages leurs saveurs et leurs meilleurs souvenirs. À tous les Daniel, Sébastien, Christophe et Colette avec qui j’ai partagé le sentier et les fous rires, merci. Vous m’avez donné des ailes. À toutes les personnes inconnues qui nous ont généreusement offert de la nourriture, un sourire ou un endroit pour dormir, merci encore. À tous les bénévoles et employés qui s’occupent du sentier, qui le balisent et l’améliorent, chapeau.
C’est un sacré joyau qu’on a là, juste sous nos pieds.
Le SIA en vrac
Distance totale du sentier : 650 km
Durée moyenne pour le marcher : entre 30 et 40 jours
Nombre de personnes qui tentent la grande traversée par année : 15 à 30
Ratio : 60 % hommes, 40 % femmes
Taux de réussite: 80 %
Type d’hébergement : refuges, abris, plateformes de camping
sia-iat.com
L’ABC des GR
Reconnaissables par leurs légendaires balises rouges et blanches, les Sentiers de Grande Randonnée qui sillonnent l’Europe se comptent par centaines et cumulent plus de 180 000 km de beautés naturelles. Ils sont l’œuvre de la Fédération Française de la Randonnée Pédestre (FFRandonnée) et des nombreux marcheurs qui ont rêvé ses parcours avant même l’existence du mot « randonnée », dans la première moitié du 20e siècle. Pour être homologué en tant que GR®, un itinéraire doit notamment suivre un réseau de sentiers sur plusieurs jours et offrir une thématique unique. Mais surtout, il doit répondre aux hauts standards de qualité qui font la renommée de ces randonnées à travers le monde.
Le premier GR outre-Atlantique
Depuis octobre 2015, le Québec peut se targuer d’être parcouru par le tout premier itinéraire de Grande Randonnée en Amérique du Nord, le GR®A1, qui suit les 650 km du Sentier international des Appalaches (SIA-QC), en Gaspésie. « Nous étions les premiers à faire la demande ! », de dire Éric Chouinard, directeur du SIA-QC, qui travaillait activement depuis 2011 à séduire les membres de la FFRandonnée en vue d’obtenir l’homologation. Pas étonnant que le charme ait opéré : outre sa distance respectable, le sentier traverse les majestueux sommets de la chaîne des Appalaches en plus d’offrir de l’hébergement de qualité tout le long de son parcours.